La fiction salvatrice
- Par Jean-Jacques Jugie --
- le 12 juin 2014
La qualité de romancier confère-t-elle à son auteur un surcroît de perspicacité en matière politique ? On ne saurait l’affirmer, mais l’histoire de notre pays compte de multiples écrivains éminents, qui se sont impliqués dans le débat public et souvent engagés dans l’arène politicienne. Enfin, c’était autrefois ; aujourd’hui, l’Assemblée nationale réunit surtout des fonctionnaires et des avocats, mais aucun écrivain professionnel ou intermittent. En revanche, le statut d’élu confère spontanément la verve littéraire à son titulaire – nombreux sont ceux qui publient : leurs œuvres sont de qualité inégale, pour rester poli, et souvent frappées du sceau de la négritude industrielle. Mais en politique, le livre est l’encre de la vanité. Quoi qu’il en soit, dans un grand débat d’opinion, l’avis d’une personnalité célèbre vaut davantage que celui d’une mercière anonyme. Sauf qu’il est difficile de dissocier l’artiste du personnage qu’il a fait naître. Voyez par exemple le referendum à venir sur l’indépendance de l’Ecosse : J.K. Rowling, la maman littéraire de Harry Potter, s’est fermement et financièrement engagée en faveur du maintien au sein du Royaume-Uni, avec des arguments très popote. Contre l’avis de Potter lui-même, qui eût assurément défendu l’indépendance du Royaume des Sorciers face au matérialisme des Moldus. Le héros a été trahi.
Un autre, de héros, vient d’apostasier sa fidélité sans faille à Sa Très Gracieuse Majesté : l’Agent 007, désormais à la retraite, prêche l’indépendance écossaise par la voix de Sean Connery. Il y risque sa pension et son Aston Martin de fonction. Cette question de l’autodétermination est une vraie grenade dégoupillée, en Europe et à ses frontières. Laquelle pourrait bien donner la majorité à l’idéal fictionnel contre le pragmatisme faussaire. Que penserait Guido Brunetti, le célèbre commissaire vénitien de Donna Leon, de l’indépendance revendiquée par Venise ? Son avis ne fait guère de doute, et il serait confirmé par son épouse Paola – héritière d’une illustre famille locale qui réside au bord très aristo du Grand Canal. Quant à Pepe Carvalho, le détective de Manuel Vázquez Montalbán, il serait un partisan enthousiaste de l’autonomie catalane, en phase avec l’engagement non dissimulé de feu son père spirituel contre les prétentions castillanes. Comme le démontre le physicien François Roddier, dans cette conférence opportunément exhumée par Paul Jorion, ce sont les acquis culturels, rapidement intégrés, qui font avancer l’espèce humaine, plus que l’évolution génétique – dramatiquement lente. En foi de quoi le rêve des artistes, même intermittents, pourrait-il finir par supplanter la réalité des financiers en CDI. Reconnaissons-le : si notre espèce doit inventer les conditions de sa survie, ce n’est sans doute pas Wall Street qui découvrira la potion magique.
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