La guerre des bouchons

La guerre des bouchons

Surveillez de près votre courrier : il pourrait bientôt contenir votre ordre de mobilisation. Car notre pays est empêtré dans un pataquès diplomatique qui menace de dégénérer en conflit ouvert : en ces temps de crise, les gouvernements ont la gâchette facile. Comment çà, avec qui ? Mais avec les Etats-Unis, bien sûr. Non, il ne s’agit pas de la Louisiane : l’acte de cession par Napoléon était bien entaché de nullité, c’est une affaire entendue. Mais bon, on ne peut pas reprocher au père du Code civil d’avoir été un peu léger en droit constitutionnel. Non, les Yankees ne revendiquent pas l’Alsace et la Lorraine : vous confondez avec d’autres chamailles désormais complètement apaisées. Enfin, presque. Le problème, c’est la Champagne. Ou plutôt, le champagne. Car sous ses airs de collégien policé et discipliné, le président Obama s’est laissé aller à une provocation injurieuse à l’égard de notre pays. S’il ne se fend pas d’excuses publiques, l’incident aura des conséquences plus graves encore que l’attentat de Sarajevo.

Il faut que l’on vous explique. Pour célébrer sa seconde élection, le Président va donner au Capitole un somptueux déjeuner. La tradition du banquet d’investiture est typiquement française, et Jefferson nous l’a piquée sans vergogne et sans payer de commission à Napoléon. Mais bon, là n’est pas la question. Le problème vient du menu qui sera servi en cette occasion. Au dessert, une tarte aux pommes accompagnée d’un « Korbel Natural, Special Inaugural Cuvée Champagne, California ». Oui, d’accord : après le homard de l’entrée et le plat de bison, la tarte aux pommes fait un peu cheap. Oui, oui, le champagne sur le dessert, c’est assez plouc. Mais en matière gastronomique, les Américains sont capables de tout. Comme arroser le civet de lièvre à la royale d’un verre de Coca (ce n’est pas idiot, du reste, vous devriez essayer). En fait, vous l’avez compris, l’outrage se situe ailleurs. L’appellation « champagne » est protégée. Même aux States où un accord a été signé voilà des années. Il n’interdit pas aux Californiens de fabriquer des vins pétillants. Ce qu’ils font, au demeurant, avec des résultats controversés. Mais l’usage du label champagne est strictement réglementé. Ainsi, le menu présidentiel aurait dû mentionner « California Champagne » au lieu de « Champagne, California ». Vous saisissez ? La formulation retenue, par son évidente ambiguïté, est une agression délibérée de notre glorieuse AOC. Les Américains, il faut les surveiller comme le lait sur le feu : ils ont tôt fait de s’approprier vos spécialités. Voyez la chaîne McDo qui lance chez nous un produit révolutionnaire : le sandwich baguette jambon-fromage. Gonflé, non ? Notre ambassadeur à Washington vient d’être rappelé en consultation. On croise les doigts. Et si le différend s’apaise, on fera sauter le bouchon.

La recette du jour

Valeurs sous copyright

Vous êtes heureux d’avoir hérité des valeurs dont la France détient le brevet : l’humilité et le sandwich jambon-beurre. La première, personne ne tentera de vous la chouraver. Mais prenez garde au second : il suscite la convoitise. Quiconque tente de se l’approprier doit être traité comme il le mérite : offrez-lui humblement une coupe de champagne californien. Ça le calmera.

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