La mémoire en cendre

La mémoire en cendre

Les livres qui brûlent, ce n’est jamais un bon signe. On saura sans doute assez vite comment s’est déclenché l’incendie de l’Institut d’Egypte du Caire. Qui a transformé en cendres une collection unique de manuscrits et de livres rares, témoins irremplaçables de la longue histoire intellectuelle du pays et de celle des voisins. Un remake de la disparition de la bibliothèque d’Alexandrie, qui fit disparaître en son temps une large part des réflexions et connaissances consignées depuis l’Antiquité. On saura comment, mais probablement jamais pourquoi la mèche a été allumée. S’il s’agit d’un accident fortuit, d’un acte volontaire ou d’une malédiction qui affligerait la science humaine dans cette zone frontalière entre l’Afrique et l’Asie mineure. Après les destructions volontaires et le pillage du patrimoine historique, qui ont accompagné les désordres révolutionnaires, on va bientôt reprocher à Napoléon d’avoir ramené chez nous un tribut trop modeste de ses campagnes d’Egypte. En tout cas, qu’il soit accidentel ou délibéré, le bûcher de l’Institut semble laisser les autochtones dans l’indifférence, tout occupés qu’ils sont à tenter de survivre dans la violence ambiante. Voilà qui sanctifie la pertinence du blasphème de Faust : « Au commencement était l’action  ». Un principe que les colons de la conquête de l’Ouest, sans avoir lu Goethe, adoptèrent spontanément (On pend d’abord, on juge ensuite) ; un principe que leurs descendants yankees se sont transmis jusqu’à nos jours et qu’ils ont imposé avec succès à la planète entière.

Au moment de l’annonce du retrait définitif d’Iraq des troupes américaines, qui laissent sur place des champs de ruines et une chienlit meurtrière, la lutte victorieuse contre les tyrannies revêt un goût amer. C’est que l’idée de démocratie relève de la philosophie politique. Il faut faire preuve de confusionnisme pathologique pour confier aux armées la propagation d’une philosophie. A-peu-près la même démarche que celle consistant à confier aux équarisseurs l’amélioration de la race chevaline. Si l’on en croit l’historien Pierre Chaunu, « la guerre est le plus grand réducteur de violence  ». L’optimisme de cet apophtegme n’est pas déraisonnable : de la même façon, la mort est le plus grand réducteur de souffrances. En attendant une hypothétique pacification de l’Egypte, les autorités du pays ont pris conscience de la « catastrophe pour la science  » que constitue la disparition des précieuses archives. Et le ministre des Antiquités, dans un élan de communication typiquement postmoderne, a annoncé son intention de « demander à la France de contribuer à la restauration du bâtiment ». Faute d’ouvrages à y installer, on pourra faire de la future bibliothèque une nécropole de la culture égyptienne, et y entreposer les urnes d’une mémoire devenue indéchiffrable. Un exercice vain pour la connaissance. Mais excellent pour le tourisme, coco.

La recette du jour

Bibliothèque postmoderne

Vos enfants se moquent comme d’une guigne de la riche bibliothèque que vous avez patiemment assemblée. Mettez-y le feu et enfermez les cendres dans une urne de cristal, enchâssée dans une crypte en acier brossé. Vous aurez transformé un savoir élitiste en une œuvre démocratique, que le monde entier viendra admirer. Vous gagnerez l’affection de vos mômes et plein de biffetons.

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