La mémoire torturée

La mémoire torturée

La collectionnite est-elle une maladie ? Pour une réponse circonstanciée, interrogez votre psychanalyste habituel. Lequel vous dira sans doute qu’il ne faut pas la confondre avec le collectionnisme, une pulsion irrépressible à l’accumulation d’objets hétéroclites, qui est considérée comme un désordre psychique. Tandis que l’accumulation d’objets de même nature ne vous envoie pas direct à l’asile. Enfin, pas tout de suite. Même si vous êtes avrilopiscicophile, c’est-à-dire collectionneur de poissons d’avril, dentiscalpe, c’est-à-dire collectionneur de cure-dents, ou cassanuxiphile, c’est-à-dire collectionneur de casse-noix. Ces derniers sont à la fête en ce moment, grâce à une offre pléthorique sur le marché électoral, qui promet de tous nous transformer en votaphiles, ainsi nommés les collectionneurs de factures. Ces innocentes manies fétichistes révèlent quelquefois une propension à la superstition. Comme la maginopinaciophilie, qui crédite de vertus protectrices l’accumulation des flyers des marabouts, ou la schoïnopentaxophilie, reflet d’une croyance ancienne qui accorde des pouvoirs surnaturels à la corde des pendus.

Comment s’appelle le collectionneur d’instruments de torture ? Faute d’avoir été répertorié, on propose de l’appeler le Meyssonnier, ainsi nommé le seul représentant connu de la corporation. Ce n’était pas n’importe qui, ledit Fernand : il fut le dernier bourreau de la justice française à exercer son mandat pendant la guerre d’Algérie, où il s’exécuta, si l’on ose dire, avec un professionnalisme reconnu. C’est-à-dire sans infliger une quelconque souffrance aux condamnés. Seulement voilà : au lieu de collectionner gentiment les nains de jardin, par exemple, comme un paisible nanomane, il s’est focalisé sur les instruments de torture. Ce n’est pas très malin. Si bien que la tentative de dispersion de la collection, par ses héritiers, a soulevé un torrent d’indignation. Aurait-elle été rassemblée par la Veuve de Carpentras que nul n’y eût rien trouvé à redire. Mais par Meyssonnier, qui a concentré sur sa personne toute la mauvaise conscience de notre pays sur l’aventure algérienne, et toute la rancœur des autochtones à l’égard de ses auteurs, voilà qui est passé pour une provocation. La collection en cause présente pourtant un intérêt suffisant pour justifier qu’un musée lui soit dédié : ces objets sont les témoins de l’Histoire. Sans doute serait-il plus opportun que l’opinion s’émeuve des horreurs contemporaines : il existe des pays respectés qui infligent encore la peine de mort. Certains même, et pas les moindres, sont suspects de recourir à la torture. Pour la bonne cause, bien sûr. Mais quand même.

La recette du jour

Collection de vieilles lunes

Vous regrettez d’avoir, encore enfant, abandonné trop tôt votre collection de timbres. Pour vivre complètement dans votre époque, il vous faut trouver quelque chose à entasser. Evitez de collectionner les embêtements : vos héritiers n’en tireront aucun bénéfice. Vous pouvez en revanche accumuler les bobards avec profit : une profession s’y prête merveilleusement. Voyez-vous laquelle ?

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