La paille et la poutre

La paille et la poutre

Les Français jugent sévèrement l’Allemagne et autres pays du Nord, qui traînent des quatre fers pour augmenter leurs prêts aux copains en difficulté. Nos voisins sont ainsi taxés de pingrerie, accusés d’être insensibles à la solidarité et réfractaires aux malheurs d’autrui. Bon, il y a peut-être un peu de vérité dans le tableau, mais ces reproches sont couramment adressés aux gens prospères par ceux qui le sont moins : puisqu’ils ont beaucoup de sous, eux, ils pourraient en lâcher un peu aux autres, non ? Ou à tout le moins le leur en prêter ? L’observation paraît relever du bon sens, seulement voilà : un sondage récent vient de nous mettre le nez dans notre mauvaise foi, nous autres qui passons pour d’impénitents donneurs de leçons. A la question de savoir s’ils souscriraient à l’émission d’emprunts d’Etat de leur propre pays, les Français ont répondu, dans une proportion écrasante, qu’ils ne lâcheraient pas une thune. Bonjour la confiance, merci la solidarité. Inutile, dans ces conditions, de leur demander s’ils souscriraient à du papier grec ou irlandais : on connaît déjà la réponse...

Il est loin le temps où le pékin réservait, au guichet de sa banque ou à celui du Trésor, quelques certificats de rente d’Etat qu’il rangeait dans son coffre. Et dont il découpait, chaque année, le coupon en échange d’un intérêt sonnant et trébuchant. Depuis lors, les titres en cause ont été dématérialisés et le particulier n’a plus accès aux émissions publiques : fin de l’épicerie de détail, les dealers agréés ont raflé le marché de gros. C’est dommage, car la procédure ancienne délivrait des informations intéressantes : le niveau réel de l’épargne intérieure et celui de la confiance des citoyens dans leur pays. En ces temps reculés, la dette de la France était principalement détenue par ses habitants. Par de pépères rentiers autochtones et non par des fonds spéculatifs apatrides. Un retour dans le passé vient d’être tenté avec succès par la Belgique et l’Italie, qui ont réservé une émission à la souscription directe de leurs ressortissants. Il faut dire que le rendement offert dépasse largement celui des livrets d’épargne, et tant les Belges que les Italiens sont largement pourvus de « petites économies », celles qui n’ont jamais vu la couleur de l’impôt. Une situation qui rappelle les « lessiveuses » françaises de l’après-guerre, emplies des profits sulfureux du marché noir qui furent aimablement blanchis par les bons de capitalisation. En foi de quoi les conseillers de la Grèce ont-ils la mémoire courte et l’imagination aride : si Athènes avait emprunté dans son pays en garantissant l’anonymat des souscripteurs, elle aurait levé chez elle un gros paquet de capitaux, sans avoir à payer des intérêts astronomiques. Car rien ne dope mieux le patriotisme du citoyen que l’offre d’une bonne affaire à l’épargnant-contribuable.

La recette du jour

Monnaie de la pièce

Vous dirigez un pays confronté à des difficultés de trésorerie. Normal : vos citoyens rechignent à payer l’impôt et planquent leurs sous dans des paradis fiscaux. Lancez une émission publique assortie d’un joli rendement et garantissant l’anonymat des souscripteurs. Vous récolterez un gros magot que vous aurez le temps de ne pas rembourser. C’est de bonne guerre : à tricheur, tricheur et demi.

deconnecte