La tour, prends garde

La tour, prends garde !

Depuis que l’industrie de la finance est contrainte de réduire sa voilure, les banques limitent leur équipage au strict minimum. Elles débarquent leurs matelots par milliers pour alléger la cambuse, mais sacrifient aussi quelques sous-officiers aux divinités ombrageuses de l’austérité. Voyez par exemple les traders : ils sont moins nombreux à se pavaner sur le pont. On les remplace maintenant par des machines qui spéculent à haute fréquence, sans être sujettes au caca nerveux ni exiger des bonus pharaoniques. C’est tout bénef. On élague aussi dans les rangs des services de la prévision, où s’entassaient auparavant les coûteux analystes de la météo conjoncturelle et les cartographes de l’avenir que sont les économistes. Il semblerait que ceux qui ont réchappé à la tornade de licenciements soient maintenant privés de leurs impedimenta d’antan – les modèles économétriques complexes, qui mobilisent une chiourme d’ordinateurs, nourris de bancs complets de statistiques fraîchement pêchées. Désormais, les prévisionnistes reviennent aux fondamentaux. Ils vont dégoter aux puces une boule de cristal pas trop ébréchée ; ils battent sans relâche leurs tarots élimés ; ils observent le vol des oiseaux et le fond de leur tasse d’expresso ; ils scrutent les entrailles de poulet, quand ils en trouvent un à Carrouf’ qui ne soit pas éviscéré. Les prophéties qui en résultent ne sont pas plus ésotériques qu’avant, mais elles reviennent beaucoup moins cher.

Pour preuve, une grande banque anglaise vient de publier une alerte qui nous glace les sangs. Ses analystes ont découvert, en lisant les vieux magazines de la salle d’attente (les abonnements ont été suspendus), qu’il existait une corrélation entre la survenance d’une crise financière et la construction préalable de gratte-ciels : New York 1930, Chicago 1974, Kuala Lumpur 1997 et Dubai 2010 (la Tour Burj Khalifa de 800 mètres, sans chapeau sur la tête). L’édification d’immeubles d’une altitude insensée témoignerait d’une mauvaise allocation des capitaux : la banque en cause en sait quelque chose, pour avoir contribué au financement de la Burj Khalifa. Eh bien, figurez-vous que l’Inde et la Chine trustent en ce moment l’essentiel des chantiers de sky scrappers. Moralité : ces deux pays seront en crise avant que nous soyons remis de la nôtre (rançon méritée pour la construction des colonnes Buren). On accorde à ces prévisions tout le crédit qu’elles méritent : voyez ce qu’il est arrivé après l’édification de la Tour de Babel. Pour ne rien dire des Pyramides, qui témoignent d’un bug manifeste dans l’allocation des capitaux : autant d’argent pour loger un seul individu, de surcroît défunt, c’est déraisonnable. L’Egypte en paie aujourd’hui le prix par une crise carabinée : son parlement vient de passer aux mains des islamistes. Pas de quoi fanpharaonner.

La recette du jour

Humilité au naturel

Vous vous demandez en vain comment garantir votre prospérité. Cessez de vous inquiéter : personne ne le sait. Mais grâce aux prévisionnistes bancaires britanniques, on sait maintenant ce qu’il ne faut pas faire. Renoncez illico à une résidence palladienne et construisez un modeste abri de jardin. Car lorsque le bâtiment va trop bien, la crise n’est pas loin.

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