Le cigare et la fourmi

Le cigare et la fourmi

Voilà longtemps que notre espèce s’intéresse de près à la vie des abeilles et à celle des fourmis. Pour les abeilles, convenons-en, l’intérêt est clairement dicté par la rapine mielleuse. Et les apiculteurs peuvent se réjouir : l’Autorité européenne de sécurité des aliments vient de délivrer un avis sévère à l’égard d’une série de pesticides, soupçonnés de complicité dans le génocide des apidés. Les abeilles qui ont séché leurs cours de chimie ont trop tard pris conscience de la nocivité des néonicotinoïdes : elles ont clampsé avant d’avoir pu cafter. Heureusement, grâce à l’AESA, les survivantes peuvent désormais se consacrer sans risque à leurs activités domestiques. Mais l’étude de l’Apis mellifera ou des formicidés nous intéresse surtout pour leurs points communs en matière de vie sociale : un travail acharné sous une discipline militaire, une dévotion émouvante à la reine et l’élevage attentif de la progéniture dans le strict respect des principes platoniciens (éducation collective par des mères professionnelles). Les tire-au-flanc et les étrangers au clan sont exterminés ; le syndicalisme est prohibé et le mariage démocratiquement interdit à tous : seule la reine peut s’accoupler et dès que c’est fait, les mâles sont mis à la porte (eux non plus ne savent rien faire d’autre). C’est cool.

On comprend qu’une organisation aussi pointue passionne l’homo sapiens, qui se caractérise par un sens inné du désordre et un goût immodéré pour le farniente. Mais voilà que Le Temps nous révèle une découverte de taille, récemment publiée dans la revue Nature. Elle concerne les fourmis de feu, Solenopsis invicta pour les intimes, dont les colonies sont curieusement organisées autour d’une ou de plusieurs reines. Leurs sociétés constituent ainsi des potentats à la mode africaine, ou bien des démocraties parlementaires raffinées, comme la nôtre, avec séparation constitutionnelle des pouvoirs, une armée d’élus du peuple flanqués de leurs cohortes de courtisans parasitaires, et les déficits publics qui vont avec. Etonnant, non ? Vous vous demandez comment c’est possible. Eh bien, on vous le donne en mille : le mode d’organisation résulterait d’un déterminant génétique. Que l’on peut identifier par analyse du génome, bien entendu, mais qui se manifeste également par l’odeur. Exactement comme chez l’être humain. Tout individu -s’il n’est pas infirme des naseaux - sait reconnaitre son député aux effluves de D n°4 de Partagas ; il sait repérer son avocate au n°5 de Chanel et son palefrenier au subtil parfum de crottin frais. Dommage qu’il ne puisse pas sentir son banquier ; mais il est vrai que l’argent n’a pas d’odeur.

La recette du jour

Sociabilité au pif

On vous reproche depuis toujours votre déficit de sociabilité. Votre problème, c’est de ne pas savoir classifier les gens que vous rencontrez. Faites donc un stage dans une fourmilière de Solenopsis invicta : vous y apprendrez à renifler les catégories socio-professionnelles. Sauf si vous n’avez pas de nez : là, vous risquez de vous faire bouffer.

deconnecte