Le krach du repentir

Le krach du repentir

Hollywood doit se préparer à tourner une nouvelle version des Repentis. L’histoire ne mettrait pas en scène la pègre des trafics ordinaires avec ses caïds mégalos, ses tueurs sans âme et ses petites mains asservies, dans un décor de bas-fonds crades et de garden parties royales, où des parvenus analphabètes étalent leur morgue, leur fric et leur vulgarité. Le nouveau script mettrait en scène de brillants produits des meilleures écoles de la planète, sélectionnés pour leur agilité intellectuelle et la longueur de leurs dents, policés comme des ambassadeurs, raffinés comme des princes toscans, sapés comme des gravures de mode et fourbes comme des anges déchus. Tout ce beau monde évoluerait dans des bureaux high tech rehaussés d’œuvres contemporaines coûteuses, dans les palaces de la jet set et les antichambres ministérielles. Vous l’avez deviné : le business sulfureux en question, c’est la haute finance. Et la banque concernée, c’est Goldman Sachs, parrain indétrônable du secteur, admiré pour son opulence, redouté pour son autorité et la puissance de ses armées.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que GS fait l’objet d’interrogations dérangeantes et de critiques acerbes. Ni d’actions en justice, qui se sont jusqu’à maintenant soldées par d’aimables transactions : pour avoir la paix, la banque paie. Son président controversé, convoqué devant une commission du Sénat américain après le déclenchement de la crise des subprime, a déclaré alors, en toute humilité, qu’il faisait « le travail de Dieu  ». Une conception très personnelle du divin business, car il est notoire que la banque n’a jamais hésité à agir contre l’intérêt de ses clients pour asseoir ses profits. Et ça continue. Mais voilà qu’un Judas nommé Greg Smith, fraîchement démissionnaire de GS, vient de publier dans les colonnes du New York Times, le « quotidien de référence » de l’Amérique, une virulente diatribe contre son ancien employeur. Dans laquelle il égrène le chapelet de vilenies qui constituerait les patenôtres quotidiennes de l’institution. Ou qui constitue, plutôt, car nul n’ignore plus depuis longtemps les roueries de l’établissement. Quelle portée faut-il donc accorder au dévoilement d’un secret de Polichinelle ? Le ton général des commentaires, dans la grande presse, donne le « la » : ce Greg Smith croît-il vivre dans un monde de Bisonours ? Et lui a-t-il fallu douze ans pour prendre conscience de cette dure réalité, à savoir que la duplicité est le fonds de commerce d’un grand banquier ? En un mot, les « révélations » en question déclenchent plutôt un courant de sympathie en faveur de Goldman Sachs. Et font passer ledit Smith pour un ras-du-bonnet ridicule et un trou-de-balle félon. Tel est le triste sort du repenti dans une société dépravée : malheur à celui par lequel le scandale ne peut être étouffé.

La recette du jour

Absolution à 30 deniers

Vous avez bâti votre succès sur un cocktail efficace d’intelligence, d’opiniâtreté, de corruption et de férocité. Vous être devenu très riche, très puissant et très redouté. Mais l’orage gronde. Backchichez un Judas qui dénoncera ce que tout le monde sait déjà. La meute de vos adversaires potentiels se rangera à vos côtés. Car même les honnêtes gens détestent les cafteurs repentants.

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