Le prestige des bonnes

Le prestige des bonnes manières

Vous n’allez pas le croire : la France est encore un modèle d’excellence pour le monde entier. Non, non, on se calme : il n’est pas question de gouvernance, d’économie ni de politique étrangère. En ces matières, il semble que le pays n’ait rien connu de plus horrifique depuis le règne de Jean le Bon, signataire du funeste traité de Brétigny avec la canaille anglaise – une métaphore contemporaine de l’engeance financière anglo-saxonne. Il n’est pas question non plus de gastronomie, depuis que les Etats nouveaux-riches, autrefois appelés « émergents », revendiquent l’invention des œufs sur le plat et du poireau-vinaigrette. Une outrecuidance de gougnafiers. C’est sur un autre terrain que notre excellence suscite l’envie : les bonnes manières. Lesquelles sont attribuées à nos méthodes d’éducation des enfants, figurez-vous. Tel est du moins l’avis d’une journaliste, dont l’ouvrage relatif à l’élevage français fait un carton partout où il a été traduit. Bon, d’accord : l’auteur est une Américaine, et c’est à la jeunesse de son pays que sont comparées nos têtes blondes : le combat est inégal, reconnaissons-le avec humilité. N’importe quelle maman saine d’esprit préfèrerait élever une portée de chacals qu’un seul petit Yankee.

Un tel ouvrage devrait rassurer notre ministre de l’Education. Encore que l’échantillon de référence de Pamela Druckerman (identifiable à son look très Figaro madame), soit faiblement représentatif des mouflets français, car exclusivement constitué de petits parigots des beaux quartiers. Ceux qui, à sa totale stupéfaction, « préfèrent le bar sauvage grillé aux nuggets ». Oh, my god ! C’est en effet le phénomène le plus in-croy-yable depuis le passage de la comète Halley. Même pour vous, dont les enfants bien-élevés ne disent bonjour à la dame, ne restent à table sans rechigner et n’avalent le bar sauvage grillé sans vous insulter que sous la menace d’un kalachnikov et la promesse de mériter nuggets et pizza dès que les invités auront été congédiés. Le plus remarquable dans cette affaire n’est pas qu’un auteur étranger ait écrit un recueil de poncifs caricaturaux sur le modèle éducatif français. C’est plutôt que la terre entière plébiscite nos recettes au moment même où nous les avons presque totalement abandonnées. Voilà qui démontre que nous ne sommes pas les seuls à nous bercer d’illusions. Mais il n’est pas certain qu’il faille s’en réjouir.

La recette du jour

Diagnostic éducatif

Vos enfants saluent leur valet de chambre avant de partir à l’école. Ils n’emportent pas la paire de fusils Purdey, qu’ils ont reçue à Noël, dans leur cartable Vuitton en peau de crocodile Heng Long. A la cantine du lycée Henri IV, ils préfèrent le bar sauvage grillé aux nuggets de poulet. Soyez rassuré : vos gamins ne sont pas américains. Vous pouvez reprendre la lecture du Figaro madame en toute sérénité.

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