Le syndrome du migou

Le syndrome du migou

Etes-vous déjà passé par Kemerovo ? C’est peu probable. Peut-être même n’avez-vous jamais entendu parler de cette ville sibérienne, temporairement baptisée Chtcheglovsk après la Révolution russe et connue des seuls encyclopédistes du football : c’est le lieu de naissance d’Andreas Beck, talentueux défenseur du club allemand 1899 Hoffenheim, dans le Bade-Wurtemberg. Là, vous connaissez : le Lac de Constance, la Forêt Noire, Baden-Baden, Stuttgart, Karlsruhe, l’ancien fief prussien des Hohenzollern. Dépourvue de notoriété, Kemerovo doit la prospérité à ses mines de charbon, qui ont fait naître une industrie florissante. Et pourtant, sa région mérite le détour : pas des steppes rabougries mais les paysages magiques de la Sibérie du sud, sous un climat continental un peu rude, convenons-en. En tout cas, on comprend que les autorités locales déplorent la modicité du flux touristique. En foi de quoi viennent-elles de découvrir un argument de choc pour attirer les foules.

Selon une délégation de chercheurs de plusieurs nationalités, opportunément invités dans les lieux et probablement transfusés à la vodka avant d’affronter leur expédition dans la grotte locale Azasskaïa, les montagnes kemoroviennes recèleraient les traces incontestables du… yéti, l’abominable homme des neiges, cet anthropoïde à visage humain que seul Tintin eut le loisir de côtoyer au Tibet, à la fin des années 1950. On se souvient en effet de l’accident d’avion duquel réchappa son ami Tchang, grâce à l’intervention providentielle du migou, lequel se prit d’affection pour le jeune Chinois et prétendit l’adopter au mépris des règles du droit international. Auparavant, on ne connaissait du yéti que sa légende himalayenne et la photographie d’une empreinte de pied popularisée par l’alpiniste anglais Eric Shipton, grand descendeur de whisky comme le Capitaine Haddock. Eh bien, voyez-vous, depuis lors notre grand singe aurait pris le bus pour aller s’installer en Sibérie. Afin de redorer le blason touristique de Kemerovo. Sympa de sa part. Les élus ne manquent pas d’imagination pour attirer sur eux l’attention des foules. Avec des contes que ne goberaient pas des enfants de maternelle. A ce rythme, vous verrez que certains de nos présidentiables n’hésiteront pas à nous promettre la démondialisation, la mise au rencart des Chinois et la Seine charriant des flots de Petrus 1945. Pendant que d’autres nous garantiront la remise sur pied prochaine de nos banques, la restauration de nos finances et celle de notre moral. Bon, on préfère relire Tintin au Tibet  : au moins Hergé savait-il raconter des histoires crédibles, lui.

La recette du jour

Tourisme rose

Vous êtes élu d’un trou perdu et plein de charmes, bien que délaissé par les touristes. Fouillez dans vos vieux grimoires et dans les mythes locaux. Exhumez le souvenir d’un sorcier, d’une fée Carabosse, d’un dahu ou d’un loup-garou. Invitez des scientifiques anonymes et alcooliques. Ils peindront votre légende en rose et une foule de curieux viendra la siroter.

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