Les funérailles du franc

Les funérailles du franc

Cela fait donc dix ans que nous avons troqué nos francs contre l’euro. Le deal n’est finalement pas si lointain et pourtant, le souvenir de nos « Pascal », de nos « Gustave Eiffel » et autres « Cézanne » s’est totalement estompé. Il n’y a plus que les collectionneurs pour goûter aux joies esthétiques de nos anciennes coupures et leur accorder un prix supérieur à leur valeur faciale, pour peu qu’elles soient en bel état. Il y aurait encore pour 4 milliards de francs de ces billets dans la nature, soit la contrevaleur d’environ 600 millions d’euros. Au moins jusqu’à vendredi, date ultime à laquelle il est possible de les échanger aux guichets de la Banque de France, dans une proportion peu favorable : plus de 7 « verts » pour un nouveau « violet » de 500. Mais enfin, l’affaire mérite quand même le détour. C’est le moment de chercher où grand-mère planquait ses petites économies. Avec un peu de chance, on pourra mettre la main sur une monnaie plus ancienne : des pièces de 20 francs en or. Et dans ce cas, il n’est probablement pas opportun d’échanger 2 jaunets contre 1 violet : la parité future pourrait bien continuer d’avantager les piécettes…

L’histoire ne manque pas d’ironie. Au moment où la monnaie européenne fait l’objet de doutes sérieux quant à sa pérennité, le franc va être gommé de la mémoire collective. Le franc-papier, à tout le moins. Le franc-or, pourtant frappé de désuétude depuis longtemps, continue de jouir d’une cote d’amour élevée, pas seulement chez les collectionneurs et les admirateurs de Napoléon. Voilà qui donne sa vraie dimension à la malédiction de la monnaie fiduciaire, condamnée à un vieillissement accéléré en dépit des efforts méritoires des Banques centrales. Il en va ainsi de la plupart des créations de l’espèce humaine. Voyez par exemple l’œuvre du dessinateur Hergé, lequel n’a jamais posé sa signature sur un billet de banque. Nombre des Aventures de Tintin continuent de trouver leur public, longtemps après leur première publication. Même si leur valeur est objectivement inégale. Comme Tintin au Congo, par exemple, qui a failli disparaître de l’étal des libraires. Pas à cause de la médiocrité de sa facture, mais sous l’effet d’une action en justice intentée par un ressortissant congolais, qui accusait cette BD d’être « raciste » et de « faire fait l’apologie de la colonisation et de la supériorité de la race blanche sur la race noire ». Il faut reconnaître qu’à l’aune de la sensibilité contemporaine, le scénario ne fait pas dans la dentelle. Mais le tribunal belge a jugé qu’il n’y avait pas d’intention discriminatoire. C’est l’intention qui fait le larron. La loi ne peut sanctionner les préjugés et les clichés d’une époque révolue. Mais préjugés et chimères n’ont pas disparu : certains croient aujourd’hui faire une bonne affaire en conservant leurs vieux francs. Mais même si l’euro venait à capoter, ils ne vaudraient pas plus que de la roupie de sansonnet.

La recette du jour

Chasse au trésor

Vous avez retrouvé au grenier une montagne de billets que votre aïeul avait accumulés, grâce à son labeur acharné ou à ses trafics inavouables. Ne dormez pas sur ce trésor. Vous avez jusqu’à vendredi pour échanger les francs contre des biffetons négociables. Car la monnaie ne ressemble pas aux piles Wonder : elle ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.

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