Pigeons de service

Pigeons de service

Dans la mythologie de l’entreprise figure, en bonne place, l’histoire de ce Directeur américain des Brevets, qui démissionna de son poste lors de l’invention de la locomotive électrique. Au motif qu’après une telle avancée, il n’y avait plus rien à inventer. Le démissionnaire se mettait une caténaire dans l’œil, bien entendu : depuis lors, l’ingéniosité humaine n’a cessé de produire des inventions qui ont révolutionné le quotidien et formidablement enrichi les Géo Trouvetout et leurs investisseurs. Pas étonnant que les pionniers des start-up françaises s’émeuvent du tir au pigeons que représente le projet d’alourdir fortement leur fiscalité : c’est écorner le rêve de fortune qui consacre l’épopée victorieuse du créateur. Un parcours du combattant qui se solde plus souvent par l’échec que par la gloire, reconnaissons-le. Mais en un sens, la décision du Directeur des Brevets en question, qui était ingénieur de formation, avait un caractère prophétique. Car les authentiques novations se raréfient dans la production de biens. Et de toute façon, les usines s’installent ailleurs que sur le territoire de l’inventeur, en vertu du théorème de délocalisation. Désormais, tous les pays anciennement baptisés « industriels » se focalisent sur les services, où le potentiel est quasiment illimité. Le génie de l’inventeur réside dans la capacité à concevoir un business plan cohérent dans l’offre d’un service souvent accessoire et quelquefois ésotérique. Mais qui puisse être exploité sur la planète entière.

L’exemple des réseaux sociaux est le plus symptomatique : la valeur ajoutée d’un café du Commerce où l’on potine, sans quitter ses charentaises, n’est pas évidente. Mais le concept a connu un succès fulgurant, dans l’attente d’une rentabilité…. hypothétique, comme l’expérimentent les plus récents actionnaires de Facebook. Une vague d’enthousiasme est en train de gagner la jeune pousse américaine, AirBnB, qui s’est spécialisée dans la location de logements entre particuliers. Tout particulièrement la location de la résidence principale que son occupant rentabilise lors de son départ en vacances, pendant son week-end à la campagne ou le temps qu’il fasse ses courses (une concurrence déloyale à l’égard des hôtels borgnes). Créée il y a quatre ans, la société est désormais valorisée à 2,5 milliards de dollars. Pour un chiffre d’affaires estimé, cette année, de 180 millions. Le chiffre, s’entend, pas le résultat. Voilà qui ressemble furieusement à la folie passée des dot.com, qui se solda par un krach retentissant. Car pour justifier une telle valorisation, il faudra d’évidence trouver d’autres sources de revenus. Comme, par exemple, la location du pyjama du propriétaire ainsi que de sa brosse à dents – pour se limiter aux objets inanimés. L’idée des créateurs d’AirBnB n’est pas extravagante (pas nouvelle, non plus). Mais plutôt que d’acheter des actions de l’affaire, le billettiste préfère continuer de loger à l’hôtel. Et se coiffer de son propre bonnet de nuit.

La recette du jour

Magot de pertes

Vous êtes conscient que la création d’entreprise est la pierre philosophale de l’enrichissement. Mais vous ne savez rien faire de vos dix doigts. Ce n’est pas grave : la production de biens ne rapporte plus rien. Créez une banque d’idées de services à exploiter par les créateurs d’entreprise. Attendez de faire de grosses pertes et vendez alors votre affaire à prix d’or.

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