Provocation de bastringue

Provocation de bastringue

Notre société est devenue très indulgente à l’égard du monde artistique. Il n’y pas lieu de se plaindre que peintres, écrivains ou sculpteurs, ne soient plus soumis au carcan d’un art officiel, et qu’ils ne soient plus, en conséquence, réduits au silence s’ils osent déroger aux conventions établies. Au contraire, il semble bien que dans la catégorie dite « art contemporain », on trouve désormais toutes sortes de productions que les artistes d’antan eussent pudiquement abandonnées au fond de leur atelier. Ou délibérément détruites. Au motif que l’on n’expose pas les brouillons, les fonds de poubelle ni les reliefs du petit-déjeuner d’un artiste vivant. Nos temps épiciers n’ont pas ces pudeurs : si l’artiste est en panne d’inspiration, il peut décider d’offrir n’importe quoi au public sous le sceau de la provocation.

Notre époque adore la provocation, surtout celle qui ne présente aucun risque pour le provocateur. Elle consiste surtout à hurler avec les loups sur des accents de prophète ou de martyr, ce qui ajoute le ridicule à la mauvaise foi. Elle consiste aussi à tirer sur les ambulances, comme ces deux néo-sculpteurs italiens qui viennent de se distinguer par l’exposition de leur dernière œuvre près du Palais Chigi à Rome (la résidence du Président du Conseil italien). Il s’agit d’un cercueil de verre dans lequel gît la dépouille en silicone de Berlusconi, ricanant, débraillé et déboutonné, dans une image toute en finesse de l’histrion luxurieux que l’Histoire retiendra probablement de lui. Si « l’œuvre » en question avait été exposée alors que Berlusconi était encore au pouvoir, elle aurait représenté une réelle provocation politique et peut-être suscité des émeutes. Mais Silvio a été déposé comme un tyran d’opérette et il a disparu du paysage : il est politiquement mort. Mais physiquement bien vivant. Si bien qu’exposer aujourd’hui sa dépouille siliconée, dans une provocation sans péril, témoigne d’autant de médiocrité et de vulgarité que le modèle a pu déployer dans sa carrière. En prime, les auteurs de cette pantalonnade se prennent volontiers pour Michel-Ange. Ils ont tort : on veut bien leur promettre qu’ils n’auront aucune commande du Vatican.

La recette du jour

Provoquer n’est pas créer

Vous avez besoin du projecteur des média pour épicer votre carrière d’artiste foireux. Il vous faut donc créer une œuvre qui puisse passer pour une provocation. Privilégiez l’attaque ad hominem. Mais prenez garde à ce que votre cible ne puisse pas vous mordre. Un pamphlet contre Staline, ce n’est pas mal. Une sculpture de Néron grillant sur un barbecue, c’est encore mieux.

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