Résilience par indignation

Résilience par indignation

Petite interro pour les étudiants de Sciences-Po : « L’indignation est-elle rentable ? ». La question mérite d’être posée en ces temps où nos sociétés ne parviennent plus à créer la valeur ajoutée nécessaire à leur bien-être quotidien. Sauf dans le secteur de la finance, aux pratiques sulfureuses mais légales, celles-là mêmes qui suscitent aujourd’hui un courant d’indignation. Voilà peu, l’indignation était le sentiment individuel de celui qui « n’en pense pas moins » face à des actes que la morale réprouve mais que la loi tolère ; elle témoignait de la soumission silencieuse à un ordre du monde cruel, où l’avenir appartient à celui qui n’hésite pas à tirer tout le tapis vers lui. Il semble désormais que cette réprobation se transforme en un phénomène ostensible, collectif et planétaire : l’indignation devient un marché. Un marché mondial, grâce à la globalisation.

Le premier signe a été un succès d’édition remarquable : « Indignez-vous ! » s’est vendu comme des petits pains, avant que l’injonction ne soit suivie un peu partout par des manifestations significatives ou groupusculaires, selon la culture déambulatoire du lieu. Les protestataires ont même pollué les abords de Wall Street avant de se faire nettoyer, avec l’à-propos typiquement yankee de la lutte contre une épidémie, par les services de police chargés de la voirie. Nous voici maintenant parvenus à une étape décisive du développement : les investisseurs arrivent. Au moins l’un d’entre eux, milliardaire réputé pour son flair et son audace : George Soros, celui qui mérita autrefois ses lettres de créance en ferraillant victorieusement contre la livre sterling. Le gourou du cynisme financier met des billes dans l’exaspération populaire à l’égard de la spéculation professionnelle : c’est donc qu’il y a de l’argent à gagner. Voilà l’illustration de ce qu’il est convenu d’appeler la « résilience » exceptionnelle du modèle américaniste : la faculté de se relever de toute situation calamiteuse, par n’importe quel moyen. Un trader un peu simplet l’a récemment exposé, avec une fraîcheur candide, sur les écrans de la BBC : selon lui, la méchante dépression qui s’annonce va être l’occasion de faire beaucoup de fric. En d’autres termes, le suicide des financiers devrait être pour eux l’occasion d’amasser une fortune. Il y a en effet matière à placer ses sous dans une indignation justifiée : sur les plateformes boursières, on trouve trop de traders allumés. Et pas assez de psychiatres.

La recette du jour

Indignation en solde

L’humour noir des années 1930 avait accouché d’un slogan très populaire : « Si vous voyez un banquier sauter par la fenêtre, suivez-le : c’est qu’il y a de l’argent à gagner ». Mais les temps ont changé : les financiers sautent désormais sur l’indignation de leurs contemporains. Dans ce cas, ne faites rien et attendez qu’ils se ruinent : l’indignation ne rapporte pas un fifrelin.

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