Sciences : l’anthropologie épicière

Vous vous demandiez pourquoi le prix de votre caddie avait augmenté de 30% cette semaine, n’est-ce pas ? Eh bien, ne cherchez plus : c’est que vous êtes musulman. Car vient de débuter une période importante pour cette foi : le mois du Ramadan. Telle est l’information surprenante dénichée dans la rubrique « Vous » du Monde : on ignorait que ce journal ambitionnait de concurrencer LSA, considéré jusqu’à ce jour comme la Bible de la grande distribution. Anciennement quotidien « de référence », Le Monde deviendrait donc le Coran « des références », ainsi nommés les articles qui peuplent les rayons de votre supermarché favori, dans le jargon liturgique des distributeurs. Il est avéré que pour la plupart des Français, le culte mahométan demeure plutôt mystérieux et l’interprétation de son dogme controversée. Il est donc bienvenu que Le Monde éclaire leur lanterne en leur offrant cette définition synthétique : l’Islam est une religion caractérisée par la pratique du Ramadan, un mois de jeûne durant lequel le croyant dépense 30% de plus pour sa bouffe. Passionnant.

Comment a-t-on pu devenir aussi vulgaire et à ce point ras-du-bonnet ? Et ramener la différenciation des cultes au contenu du cabas de la ménagère lors du Ramadan, de Yom Kippour ou du Carême ? Affligés d’économisme obsessionnel, nous en sommes arrivés à jauger la vie des populations, en ce comprise leur vie spirituelle, à leur caddie-moyen hebdomadaire. Dis-moi ce que tu dépenses, je te dirai ce que tu crois : tel est l’argument de cette nouvelle discipline qu’est l’anthropologie épicière, focalisée sur la métaphysique des commissions. On comprend mieux que l’hindouisme ait aussi peu prospéré sur nos territoires : l’ascèse perpétuelle est politiquement incorrecte, car attentatoire à la croissance. Il en résulte que le législateur ne manquera pas d’intervenir dans cette pagaïe cultuelle, pour ajuster les calendriers religieux aux soins impérieux que réclame le PIB, l’âme du pays. Au lieu de le limiter au 9ème mois de l’année, on devrait étendre Ramadan aux mois impairs ; alterner Noël chrétien et Pâque juive le reste du temps, et imposer aux mécréants un banquet de Nouvel An chaque début de semaine. Seraient ainsi définitivement réglées les chicanes immémoriales sur la liberté de culte : seuls seraient autorisés ceux qui imposent un banquet régulier à leurs adeptes. Et chaque jour, la rubrique « Vous » du Monde en publierait l’agenda.

La recette du jour

Religion et citoyenneté

Vous êtes torturé par les angoisses métaphysiques mais indécis quant au culte à embrasser. Vous pouvez apaiser votre âme et soigner en même temps votre réputation de citoyen : célébrez jour après jour toutes les fêtes connues des religions répertoriées. Si vous craignez pour vos économies et votre cholestérol, abonnez-vous plutôt au quotidien des références.