Tokyo dans le guano

Tokyo dans le guano

Ce matin, les Japonais ont une pêche d’enfer. A tout le moins les investisseurs boursiers, qui saluent par une nouvelle hausse le résultat électoral qu’ils avaient anticipé. Les Conservateurs reviennent au pouvoir, après une mini-alternance de trois ans qui avait mis fin à plus d’un demi-siècle de leur domination sur la vie politique du pays. Il semble que les bonnes vieilles recettes électorales aient été exploitées sans modération. D’abord le sentiment national avec les Iles Senkaku, territoires minuscules et désertiques qui font l’objet d’une méchante querelle de souveraineté avec la Chine et Taïwan. Personne n’y exploite plus le guano, ni le traitement de la plume d’albatros à queue courte, une espèce quasiment disparue à la moitié du siècle dernier sous l’effet d’une chasse intensive : son duvet était parfait pour les couettes moelleuses. Et accessoirement, ses pectoraux étaient appréciés, en aiguillettes, par les marins de l’époque. Aujourd’hui, les Senkaku présentent un autre attrait : le sous-sol marin serait riche en pétrole…

Mais autant le pékin japonais, si l’on ose dire, ne s’est pas précipité aux urnes, autant les milieux d’affaires se sont mobilisés. Car le nouvel ex-Premier ministre entend terrasser la déflation qui mine le pays depuis presque vingt ans. En renouant avec les pratiques qui ont largement conduit l’Archipel à sa situation actuelle : le bétonnage tous azimuts, par la construction d’infrastructures pharaoniques, coûteuses et… inutiles. Le tout s’accompagnant d’un endettement abyssal (215% du PIB) et de déficits publics récurrents. Alors, comment payer les futures ardoises ? Ce n’est pas compliqué : il suffit d’imiter les Etats-Unis. Et de faire fabriquer l’argent nécessaire par la Banque centrale, en redéfinissant le périmètre de son « indépendance » récente. L’Institut d’émission est ainsi appelé à souscrire directement aux emprunts d’Etat, et encouragé à pratiquer une politique monétaire plus généreuse, bien que son taux d’intervention soit aujourd’hui de… 0,1%. On devrait ainsi connaître bientôt des taux d’intérêt négatifs sur le yen, ce qui, selon les espoirs du nouveau gouvernement, devrait doper l’inflation et faire baisser la devise nationale. Donc doper les exportations. Le recours à ce que le philosophe et psychanalyste Paul Watzlawick a appelé « l’ultrasolution », c’est-à-dire la solution qui, en médecine, se débarrasse de la maladie en tuant le malade. En d’autres termes, le moyen de réussir à échouer. Bien joué, Tokyo.

La recette du jour

Perseverare diabolicum

Voilà des décennies que vous gérez vos affaires de la même façon. Et elles ne cessent depuis lors de péricliter. Ne modifiez pas votre stratégie, ajoutez-en plutôt une louche. A force d’être dans l’erreur, vous finirez bien par avoir tort. Et à devoir vous faire hara-kiri. Mais au moins aurez-vous échappé à la suspicion infâmante d’être une girouette.

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