Achat public : enjeux,

Achat public : enjeux, conseils, et actualités

Dans une période de restrictions budgétaires, la commande publique doit plus que jamais être attentive à l’emploi de l’argent du contribuable. L’avocat est le mieux à même de fournir un cadre juridique fiable et incontestable.

par Maître Alexandre-Guillaume TOLLINCHI Avocat à la Cour - Docteur en Droit Enseignant à la Faculté de Droit de Nice Avocat associé de la SELARL TOLLINCHI’S LAW FIRM (Barreau de Nice)

Un aphorisme italien suggère que « les deniers publics sont comme l’eau bénite ; chacun y puise ».

Si un projet de thèse universitaire de Doctorat envisage « le droit de la commande publique et le bon usage des deniers publics »(1), c’est parce que les deux notions sont indiscutablement liées. L’enjeu d’économie publique des marchés publics en fait un objet d’étude à part, et même un véritable enjeu politique à l’heure où les restrictions budgétaires font tant de mal au service public, à leurs agents et aux entreprises.

Pour mémoire, la commande publique, anciennement dénommée « droit des marchés publics », constitue une discipline à la fois juridique et économique.
Il s’agit là d’une acception générique désignant les contrats publics
(accords-cadres, marché à bons de commande, marché à tranches, etc.) conclus à titre onéreux par les personnes publiques afin de satisfaire leurs besoins et leurs projets (travaux, fournitures, services, mixtes, composites).

Le régime juridique spécifique du droit de la commande publique (ordonnance de 2015 et décret de 2016) est justifié par l’emploi de l’argent du contribuable.

De l’achat royal – à l’époque où le prestataire, après avoir été librement choisi par les grands commensaux, devait acheter l’office de fournisseur du Roi – à l’achat républicain – et à l’apparition de la notion d’administrateur désintéressé et de la libre concurrence, l’État a toujours acheté et, le plus souvent, payé… au demeurant avec retard, ce qui n’a pas changé. Il en va de même aujourd’hui de ses démembrements, ainsi que des collectivités locales et de leurs établissements.

Mais « la société a le droit de demander tout compte à tout agent public de son administration » proclame l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. L’acheteur public devenant a priori désintéressé, probe, impartial, il exerce un véritable sacerdoce et est soumis au contrôle des représentants de la Nation, du Préfet… et du juge administratif. La commande publique n’est donc plus, et ce depuis quelques années déjà, ce avec le concours du droit de l’Union européenne, un système d’achat de gré à gré sans contrôle, y compris pour les achats hors procédure et hors publicité dont les seuils dépendent de la nature desdits achats. Dès 1791, l’Assemblée nationale, saisie d’un projet relatif au mode des fournitures de l’armée, votait un décret – il s’agissait, alors, d’un texte législatif – présenté par son rapporteur comme ayant l’objectif « d’appeler le plus grand nombre de concurrents ». Vielle antienne que la concurrence la plus large ! En 1793, dans l’esprit du procès de Verrès en 70 avant Jésus Christ, une chasse aux « profiteurs » de la République était mise en œuvre : il s’agissait de surveiller et de condamner les agents et fournisseurs dilapidant les deniers publics en en faisant un usage abusif et en se rendant coupable de prévarication. La théorie de la « sage administration », apparue sous la Monarchie de Juillet, n’en fut qu’une suite logique, en même temps que l’émergence d’un véritable droit des finances publiques (règles de la comptabilité publique). Bien avant la naissance de feu le Code des marchés publics (qui devrait être remplacé sous peu par un Code de la commande publique), le droit de la commande publique fit l’objet d’une première règlementation sous Saint-Louis en 1256 puis d’une première règlementation unitaire en 1836 mais c’est incontestablement à la période révolutionnaire que l’on doit une véritable prise de conscience des enjeux et des risques de la commande publique.

L’objectif intemporel de la matière est simple : « Acheter le meilleur bien au meilleur prix sans risque de malversation », selon l’expression du Professeur KALFLECHE .(2)

Ces brefs rappels historiques ont leur importance tant ils nous permettent de rappeler les principes essentiels de la commande publique (concurrence,
égalité des candidats, désintéressement, probité, transparence, bon usage des deniers publics, vérification de la solvabilité et de la capacité des candidats). Le contrat étant traditionnellement – lorsqu’il est licite – la loi des parties, la personne publique doit également s’efforcer de respecter avec rigueur la lettre du contrat, ce d’autant plus qu’elle en est le rédacteur et - qu’il serait fort inconvenant pour un pouvoir adjudicateur d’être négligeant à cet égard et d’être attrait devant le juge administratif à raison d’une violation contractuelle.

Favoritisme. Mais c’est au favoritisme que nous vous proposons de réfléchir. Depuis plusieurs années, une véritable traque au favoritisme secoue les collectivités territoriales conduisant leurs édiles parfois jusque devant les tribunaux correctionnels. La faute à « pas de chance » ?
La faute surtout à un sentiment d’impunité, aux négligences et, le plus souvent, à un manque de compétences en interne, à tous les échelons.

Qu’est-ce que le favoritisme ? L’article 432-14 du Code pénal dispose que « le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique
ou chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d’économie mixte d’intérêt national chargées d’une mission de service public et des sociétés d’économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l’une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public » est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Il s’agit du délit d’octroi d’avantage injustifié. Il y a plus grave, lorsque le favoritisme est le fruit d’une concussion (article 432-10 du Code pénal), d’une corruption passive (article 432-11 du Code pénal), ou d’une prise illégale d’intérêts (articles 432-12 et 432-13 du Code pénal), autrement dit lorsque l’octroi de l’avantage injustifié est opéré en contrepartie d’un avantage notamment financier au bénéfice de l’agent public.

En leurs qualités respectives d’agents publics et d’élus, les auteurs de favoritisme sont présumés avoir pleine connaissance des dispositions légales relatives aux marchés publics et partant, sont présumés les violer intentionnellement. Il est donc difficile d’invoquer l’absence d’élément intentionnel… d’autant plus que l’erreur de droit n’est ici pas admise au rang des causes d’irresponsabilité pénale (Cass. crim. 15 septembre 1999, n°98-87.588). Le risque existe donc bel et bien et pour l’agent public, y compris le fonctionnaire de catégorie C voire le contractuel sans pouvoir de décision, et pour le titulaire d’un marché. Il va de soi que ce dernier, bénéficiant de telles infractions, peut être poursuivi pour recel voire complicité, si naturellement les éléments constitutifs de ces infractions distinctes sont caractérisés (Recel de délit d’octroi d’avantage injustifié : Cass. crim., 15 mars 2017, n°16-83.838, publié au bulletin).

La plupart du temps, le favoritisme est un grain de sable qui se cache et se niche dans les détails, ne donnant lieu ni à concussion ni à corruption, pas plus qu’à une prise illégale d’intérêts. Ainsi, de nombreuses pratiques sont formellement interdites, du « protectionnisme local » au clientélisme avéré, en passant par un certain nombre de négligences voire de fautes du quotidien (mauvaise rédaction des pièces d’un marché résultant deBl’incompétence juridique des rédacteurs, faux et usage de faux pour couvrir une irrégularité, aide administrative téléphonique voire physique aux petits entrepreneurs locaux, absence d’armoire sécurisée, absence de respect des règles d’ouverture des plis, acceptation de candidatures déposées après le terme fixé, choix d’un candidat ayant été candidat sur la liste du maire en exercice, relations personnelles entre le candidat retenu et le pouvoir adjudicateur, etc.). Il est fondamental que les fonctionnaires des services de la commande publique soient formés, et notamment en continu, et soient épaulés par des Avocats dont le droit est le métier. La dépense juridique n’est pas une perte, c’est un investissement, aussi coûteux
soit-il et il doit nécessairement l’être, un travail de qualité ayant un coût. La nomination de personnels non-juristes dans un service de la commande
publique n’est pas une hérésie si, d’une part, le nombre de juristes n’est pas minoritaire et si, d’autre part, la personne recrutée présente des compétences en matière économique et des qualités de rigueur, d’humilité, et d’organisation personnelle. De même, le recours aux contractuels à durée déterminée relève d’une profonde erreur de management : la commande publique ne s’improvise pas, elle nécessite une véritable stabilité professionnelle pour que l’agent puisse s’y consacrer, avec la réserve toutefois qu’il nous paraît préférable qu’un agent ne demeure pas dans la même collectivité sur un poste si sensible, sur un temps trop long, ce pour prévenir tout risque de favoritisme même « inconscient ». L’audit réalisé par un Avocat pourrait permettre de prévenir et de réduire la survenance des risques envisagés dans un service de la commande publique, ce qui est particulièrement le cas des petites collectivités.

Avant d’envisager un panorama de jurisprudence 2018, nous souhaiterions insister sur une problématique récurrente : que peut, que doit faire, un agent public – même non décisionnaire, même un contractuel ou un vacataire – ou un élu se rendant compte ou étant informé d’une infraction pénale dans le cadre de la commande publique de sa collectivité ?
En principe, il doit, et c’est un devoir absolu, sans attendre, informer le Procureur de la République, sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale. Ce n’est pas une faculté, ce n’est pas une vulgaire dénonciation digne des heures sombres de l’Histoire républicaine ; c’est un devoir inhérent à son statut professionnel. Seuls les agents publics soumis au secret professionnel à raison de la spécificité de leurs fonctions en sont, selon les cas, dispensés (médecins, etc.). Dans la pratique, puisqu’il n’existe aucune sanction permettant de réprimer la non application par un agent public de l’article 40 du Code de procédure pénale, la complexité des relations hiérarchiques, l’omert à administrative, les circonstances politiques, les pressions et les craintes de mesures de rétorsion ont, la plupart du temps, raison du Droit et de la moralité publique. C’est alors un échec
manifeste de la République et du Droit sur l’autel de l’omertà… laquelle n’est pas éternelle.

Panorama de jurisprudence

Depuis le début de l’année 2018, la justice administrative a rendu de nombreux arrêts en matière de commande publique. En voici un aperçu sélectif.

CE 11 juillet 2018, n°418021 : Lorsque le nombre de lots attribués à un même opérateur est limité, une société candidate proposant uniquement des moyens mis à sa disposition par une autre société candidate, ne peut pas être considérée comme distincte de ce dernier.

CE 7 juin 2018, n°416535 : Si la garantie légale civile des vices cachés est applicable aux marchés publics, il n’en va pas de même de la prescription résultant de l’article L. 110-4 du Code de commerce.

CE 6 juin 2018, n°411053  : Une décision de non-reconduction d’un contrat, n’étant pas assimilable à une décision de résiliation mais étant une simple mesure d’exécution, ne peut pas faire l’objet d’un recours de plein contentieux.

CE 25 mai 2018, n°417869 et n°417428 : Le juge exerce un contrôle de l’appréciation de ne pas recourir à l’allotissement, mais le juge ne peut pas exercer un contrôle restreint sur le découpage des lots.

CE 25 mai 2018, n°417580 : Les critères relatifs à la responsabilité sociale des entreprises ne sont pas admis en droit des marchés publics.

CAA Paris 22 mai 2018, n°15PA03365, 15PA03367 - 1315928-1315932 3-1  : Une société irrégulièrement évincée peut prétendre à indemnisation, y compris lorsque le contrat litigieux est exclu du champ d’application de la règlementation des marchés publics.

CDBF 3 mai 2018, n°220-783 : Le saucissonnage, ou le fait pour l’acheteur public de conclure plusieurs marchés avec un même titulaire pour éviter une procédure formalisée, constitue une infraction financière et entraîne la condamnation de l’acheteur public voire de son dirigeant.

CE 26 avril 2018, n°407898 : S’il n’énonce pas l’existence d’un différend, le mémoire en réclamation ne saurait embrasser une telle qualification.

CE 16 avril 2018, n°417235  : L’offre ambiguë, régularisable, n’est pas qualifiable d’irrégulière.

CE 4 avril 2018, n°414263 : L’avis de publicité étant un acte préparatoire, il n’est pas susceptible d’un recours pour excès de pouvoir.

CE 4 avril 2018, n°416577 : Les éléments d’appréciation d’un sous-critère n’ont pas à être communiqués aux candidats évincés s’ils n’exercent pas d’influence notable sur la présentation des offres.

CE 6 avril 2018, n°402219  : Le juge contrôle la méthode de notation des offres.

CAA Paris 13 mars 2018, n°17PA03641 : Sanction de l’obligation de l’usage exclusif du français (« clause Molière »).

CE 5 février 2018, n°414508  : L’acheteur public ne doit pas demander aux candidats de fournir les justificatifs de leurs compétences techniques si le règlement de la consultation n’en fait pas une exigence sanctionnée par l’évaluation des offres.

Cass. civ. 1ère 31 janvier 2018, n°16-21.697 : Le défaut de transmission au Préfet de la délibération de l’organe délibérant autorisant la signature du contrat public entraîne la nullité de ce dernier, le juge judiciaire pouvant la constater à raison d’une jurisprudence établie du juge administratif.

1 - -Stéphanie TOLLINCHI, Le droit de la commande publique et le bon usage des deniers publics, Université de Montpellier et Université de Nice, sous la direction du Doyen Etienne DOUAT et du Professeur Philippe SAUNIER.
2 — Grégory KALFLECHE, Des marchés publics à la commande publique : L’évolution du droit des marchés publics, thèse de Droit, Université Panthéon-Assas Paris 2, 2004

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