Directive droit d'auteur

Directive droit d’auteur : que dit réellement l’article 13 devenu 17 ?

Un accord sur la version définitive du très controversé article 13 a été trouvé le 13 février dernier, malgré la forte mobilisation des géants du web qui ont mené contre cette disposition une campagne de lobbying acharnée.
Beaucoup voient dans cette disposition une avancée majeure pour les créateurs, permettant de lutter contre le « value gap », phénomène de disparité économique entre les créateurs et les plateformes de partage de contenu en ligne, telles que YouTube, Facebook, Google, afin de tendre vers un meilleur partage des revenus.

À noter : Suite à l’adoption, le 26 mars 2019, de la version définitive de la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, la numérotation des articles a été modifiée. L’article 13 est ainsi devenu l’article 17. Pour autant, son contenu n’a pas été modifié, excepté quelques modifications mineures sans influence sur le sens et la portée du texte.
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Par Maître Anne Marie Pecoraro- Avocat associé ATurquoise

En effet, le modèle UGC, ou user generated content, permet aux utilisateurs de télécharger et mettre à disposition du public leur propre contenu, souvent sans autorisation préalable.
Or contrairement aux fournisseurs de contenu sous licence tels que, Netflix, Spotify, Deezer, les plateformes UGC ne reversent qu’une part infime des revenus générés (en 2017, Spotify aurait versé près de 4mds $ là où YouTube, qui compte bien plus d’utilisateurs, n’aurait versé que 550ms $).
Grace au « safe harbor », prévu par la directive e-commerce de 2004, ces plateformes peuvent être exonérées de leur responsabilité s’agissant de contenu mis en ligne par des tiers, du fait du statut d’hébergeur qu’elles revendiquent.

A défaut d’accomplir elle-même un acte de communication au public, la plateforme sera alors mise hors de cause, même si elle participe à la diffusion d’un contenu protégé voire même qu’elle en tire profit.
Plus encore, certaines plateformes, sans doute soucieuses de protéger leur modèle économique, refusent de fournir les éléments nécessaires à l’identification des utilisateurs ayant publié le contenu contrefaisant, faisant ainsi obstacle à la recherche d’un responsable.

On comprend alors le rééquilibrage opéré par la dernière version de l’article 13 qui, sans créer de nouveaux droits ou obligations, vient renforcer l’application des droits et le respect des obligations existants pour atténuer le « Value gap » en ouvrant la voie à la responsabilité des plateformes peu diligentes.

Le principe de l’autorisation préalable

La version du projet de directive mise en ligne par Julia Reda prévoit que les services de partage de contenu en ligne accomplissent un acte de communication ou de mise à disposition au public, ce qui vient clore le débat quant à la qualification de tels actes par les plateformes basées sur le modèle UGC.
Ainsi, la notion d’acte de communication au public, entendue jusque-là comme un acte de mise à disposition au public, en toute connaissance de cause, auprès d’un public nouveau, d’une œuvre protégée, est étendue pour s’appliquer à toutes les plateformes de partage de contenu, y compris celles ayant un comportement passif telle que Youtube.

Cette qualification implique en toute logique d’obtenir l’autorisation des créateurs du contenu. Il ne s’agit-là que d’un rappel des règles de base du droit d’auteur interdisant l’exploitation d’une œuvre sans autorisation, y compris par les plateformes basées sur le modèle UGC.
Toutes les plateformes ne sont pas concernées : l’article 13 §4aa prévoit que la responsabilité des plateformes existant depuis moins de 3 ans, à l’exception de celles ayant un chiffre d’affaire annuel supérieur à 10 millions d’euros ne pourra pas être recherchée.

De même, les plateformes ne réalisant aucun bénéfice sur le contenu partagé telles que Wikipédia, ne seront pas visées, l’article 13 visant à rétablir l’équilibre de la répartition des revenus sans pour autant freiner le partage du contenu culturel.

Une certaine responsabilité des plateformes en l’absence d’autorisation

A défaut d’autorisation, la plateforme disposera d’un certain nombre d’arguments pour s’exonérer de sa responsabilité, d’autant que les tribunaux appliqueront le principe de proportionnalité pour juger de la nécessité d’une sanction.

Elle devra montrer qu’elle a accompli certaines diligences dont les principes sont listés dans le texte de l’article 13 : avoir tenté d’obtenir l’autorisation, mettre en place les procédures pour rendre indisponible le contenu protégé, agir rapidement dès qu’un contenu a été signalé comme portant atteinte au droit d’autrui.

L’obligation de diligence est imposée quant à son principe, mais pas dans ses modalités. La plateforme qui montrera que des moyens suffisants sont mis en œuvre pour supprimer les contenus contrefaisants sera exonérée de sa responsabilité. Quoiqu’il arrive, le texte n’impose pas d’obligation générale de filtre de téléchargement ou de contrôle automatique grâce notamment à des algorithmes.
Outre cette responsabilité mesurée des plateformes, la directive instaure un équilibre entre protections des auteurs et liberté de création en reprenant les exceptions déjà existantes en droit français, telles que l’exception de courte citation ou de parodie.
A titre d’exemple, certains ont invoqué l’impossibilité de publier des « memes » or ces images détournées d’une manière humoristique, rentrent dans les exceptions au droit d’auteur. Ainsi l’argument fallacieux de la restriction de la liberté de création ne tient pas face à l’application des principes fondateurs du droit d’auteur rappelés par la directive.
Par ailleurs la directive impose la mise en place de procédures de recours en cas de suppression injustifiée d’un contenu, permettant à l’auteur du contenu de faire appel de la décision de la plateforme.
Protéger et payer les créateurs est un fondamental de notre civilisation, car ceux qui œuvrent à édifier le patrimoine culturel n’ont pas à être exploités sans consentement, ni jetés en proie au travail gratuit.
Titulaires de droits de propriété intellectuelle et sociétés d’auteurs se battent depuis plus de deux siècles pour une juste rémunération des créateurs et il était temps que le projet de directive soutienne les principes qui gouvernent ce droit fondamental. #Yes2Copyright

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