Effectuer des tâches (...)

Effectuer des tâches personnelles pendant son temps de travail peut être un délit

Il est régulièrement jugé, au visa de l’article 314-1 du code pénal, que le salarié détournant "des fonds, des valeurs ou un bien quelconque" appartenant à l’entreprise peut être condamné pour abus de confiance.

Par Maître Timothée HENRY, Avocat Associé, Spécialiste en droit du travail Cabinet CAPSTAN Sophia Antipolis

Tel est le cas, par exemple, du chauffeur d’une entreprise qui détourne à des fins personnelles la carte de crédit qui lui avait été remise par son employeur pour le seul achat de carburant destiné au véhicule de la société et qui n’en a pas fait l’usage convenu entre les parties (Cass. Crim., 19 mai 2004, n° 03-83675).

La Chambre criminelle de la Cour de cassation considère même que ce détournement peut consister en l’appropriation d’un bien qui n’est pas nécessairement "corporel", puisque le texte de l’article 314-1 du code pénal définissant l’abus de confiance ne fait référence qu’à un "bien quelconque", notion pouvant faire l’objet d’une interprétation large : "L’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé."
Ainsi, la Cour de cassation en tire la conclusion que le détournement peut également concerner un bien "incorporel", comme l’utilisation par un salarié
d’informations dont il était dépositaire dans le but de détourner la clientèle de son entreprise pour le compte d’une société concurrente gérée par un complice (Cass. Crim., 14 novembre 2000, n° 99-84522).

Mais qu’en est-il alors, plus particulièrement, du salarié qui travaille à des fins autres que celles pour lesquelles il perçoit une rémunération de son
employeur sans pour autant détourner, à proprement parler, ni du matériel de son entreprise ni même des informations lui appartenant ?

Le délit d’abus de confiance peut-il être constitué malgré tout ou le salarié n’encourt-il aucun risque sur le plan pénal ?

Par un arrêt de principe rendu en 2013, la Cour de cassation a indiqué que, dans une telle hypothèse, l’abus de confiance pouvait porter sur le temps de travail détourné par le salarié au préjudice de son employeur (Cass. Crim., 19 juin 2013, n° 12-83031).
Il s’agissait, en l’espèce, d’un prothésiste chef de groupe qui, durant son temps de travail, et sur son lieu de travail, réalisait pour son propre compte des prothèses avec les moyens et le matériel mis à sa disposition par l’employeur.
Il soutenait que le seul fait de consacrer son temps de travail à une activité étrangère à son emploi et d’utiliser, dans le cadre de cette activité, le matériel qui lui a été confié par son employeur, ne constituait pas un détournement punissable.

Les juges en ont décidé autrement  : la force de travail, que le salarié s’est engagé contractuellement à mettre à la disposition de l’employeur, constitue un "bien quelconque" pouvant faire l’objet d’un détournement.
Le prothésiste a ainsi été condamné à une peine de dix mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 50 000 € ainsi qu’à verser la somme de 131 411 € à son employeur à titre de dommages et intérêts, tenant compte non seulement du coût des fournitures utilisées frauduleusement, mais également des salaires versés pour le temps de travail qui a été détourné.

Cette jurisprudence novatrice a été confirmée récemment dans le cadre d’une autre affaire impliquant, cette fois, un responsable d’agence qui avait créé et développé une activité commerciale pour le compte d’autres clients, pendant son temps de travail, dans les locaux de la société et avec les moyens téléphoniques et informatiques mis à disposition par celle-ci (Cass. Crim., 3 mai 2018, n° 16-86369). À nouveau, la Cour de cassation a jugé que l’utilisation par ce salarié de son temps de travail à des fins autres que celles pour lesquelles il perçoit une rémunération de son employeur constituait le délit d’abus de confiance.

Dans le cadre de ses conclusions, l’avocat général soulignait très justement qu’en utilisant son temps de travail à des fins autres que celles pour lesquelles il a été payé, le salarié détourne une partie de la rémunération qui lui a été remise par son employeur – soit le "bien quelconque" visé à l’article 314-1 du code pénal –, de sorte que la dématérialisation de l’abus de confiance apparaît en définitive plus apparente que réelle.

En somme, c’est en réalité moins le "temps de travail" qui fait l’objet d’un détournement que la rémunération qui est versée au salarié en contrepartie de sa force de travail.
Dès lors, la condamnation du responsable d’agence à un an d’emprisonnement avec sursis a été confirmée par la Cour de cassation. Il a en outre été décidé que l’employeur était recevable à se constituer partie civile même s’il formulait, par ailleurs, des demandes à titre reconventionnel, dans le cadre d’une procédure prud’homale introduite par le salarié aux fins de contester son licenciement.

Il se trouve, en effet, que l’action introduite devant la juridiction répressive tendant à obtenir la réparation du préjudice subi résultant des délits reprochés au salarié et fondé sur sa responsabilité délictuelle, a un objet distinct de l’action devant le Conseil de prud’hommes par le biais de laquelle l’employeur demandait seulement que soit reconnu son préjudice découlant de la responsabilité contractuelle du salarié.

En définitive, il ressort de l’examen de ces différentes décisions que si, juridiquement, un salarié peut désormais être poursuivi au titre du délit d’abus de confiance pour avoir effectué des tâches personnelles pendant son temps de travail, une telle éventualité demeure néanmoins exceptionnelle dans les faits et limitée à une situation bien particulière : celle du salarié qui a développé pendant des mois, voire des années, une activité parallèle et rémunératrice sur une part importante de son temps de travail.

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