FISCAL : DÉMÉNAGER POUR

FISCAL : DÉMÉNAGER POUR PAYER MOINS D’IMPÔT, LE PETIT COUP DE POUCE DU CONSEIL D’ÉTAT

Venant à être lassé de payer un impôt sur le revenu, une contribution sociale généralisée et autres accessoires qu’il trouve excessif, il arrive qu’un dirigeant déménage dans un pays à la fiscalité et la taxation plus modeste.
Que se passe-t-il, si ce déménagement du foyer fiscal soumis à l’Impôt sur le revenu et autres, n’entraîne pas celui de l’entreprise soumise à l’impôt sur les sociétés dont le dirigeant tire ses revenus et qu’en réalité il continuera à diriger ?

Par Me Marc Meisner - Avocat à la Cour, Barreaux Paris & Nice, Mandataire en transaction immobilière, Mandataire sportif

Ces revenus doivent-ils être déclarés en France ? Et peut-on se soustraire à l’imposition française avec quelque chance de réussite ? Le 22 janvier 2018, le Conseil d’État a balisé le chemin que devra parcourir l’administration fiscale pour récupérer une imposition dans un tel cas.


De délicats euphémismes tentent de traduire en termes contractuels, la situation de notre dirigeant. Énonçant, par exemple, que le dirigeant concerné exercera une activité dans les domaines : de la prospection et de la représentation commerciale, du management, de la stratégie d’entreprise, du conseil en étude de marché ou de gestion. Lorsque l’entreprise est en France mais le contribuable qu’elle rémunère réside à l’étranger au sens du droit fiscal, l’article 155 A du Code général des impôts donne la réponse. Les rémunérations sont imposables en France pour les services rendus en France. Autrement dit : inutile de faire les frais du déménagement, l’impôt sera dû puisque continuant à diriger l’entreprise notre dirigeant aura rendu un service en France.

Il pourra alors venir à l’esprit d’un conseil avisé de doter notre dirigeant d’une société de consulting dans son nouveau pays de résidence fiscale.
Ainsi, le dirigeant sera rémunéré par cette société, domiciliée hors de France dans le même État que lui. C’est, alors, cette société de consulting qui facturera les activités du dirigeant à la société française. La situation de la société française payant une société étrangère pour des services de représentation commerciale, management, stratégie d’entreprise, conseil en étude de marché ou de gestion, lui permettra de déduire les montants versés. Montants versés que la société étrangère se pressera de reverser à son dirigeant qui n’est autre que le dirigeant fraîchement expatrié de la société française.
Ainsi, l’administration fiscale française perd sur les deux tableaux.
Celui du résultat imposable de la société française puisqu’il est amputé du montant versé à la société étrangère de consulting. Celui de l’impôt sur le revenu qu’aurait payé le dirigeant, s’il était contribuable français. La perte est d’autant plus significative que passant de l’impôt sur les sociétés à l’impôt sur le revenu le taux français de taxation est en général plus élevé pour le dirigeant que pour la société.

On s’en doute, la Direction générale des impôts n’entend pas la chose de cette oreille.

Plongeant la main dans la besace aux inépuisables ressources du Code général des impôts, elle en sortira le même article 155 A du Code général des impôts pour affirmer à notre dirigeant que les prestations effectuées correspondent à un service rendu pour l’essentiel par lui. Que d’ailleurs il rendait le même service lorsqu’il était en France et que son déménagement ne change rien à l’affaire. Ce qui permettra à l’administration d’affirmer à notre malheureux dirigeant que la facturation par une société de consulting, serait-elle domiciliée ou établie hors de France, ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention qu’il est seul à effectuer. La Direction générale des impôts en déduira alors que ce service doit être regardé comme ayant été rendu en France par le dirigeant.

Satisfaite de ce premier raisonnement l’administration poussera son avantage pour déclarer que la société de consulting a été créée dans le seul but d’éluder l’impôt sur le revenu dû à la France par le dirigeant
expatrié. Sortant sa calculette, elle réintègrera les sommes versées à la société de consulting augmentant ainsi la base taxable de l‘impôt sur les sociétés dû par la société française. D’une autre main, elle se saisira des montants versés à la société de consulting pour en faire la rémunération du dirigeant soumise à l’impôt sur le revenu.
Mais il y a un Bonus ! Elle majorera l’imposition de 40%, considérant que le dirigeant aura commis un manquement délibéré en omettant de déclarer des sommes à soumettre à l’imposition française, bien que ces revenus aient été régulièrement déclarés et imposés dans le nouveau pays de résidence.

Une fois le redressement notifié le conseil avisé du dirigeant saisira le juge de l’impôt et lui tiendra le discours qui s’énonce comme suivant.
Estimer que les services n’étaient pas rendus à la société française par la société de consulting étrangère mais par le dirigeant, ne peut se fonder uniquement sur le motif qu’ils recouvraient les tâches, de direction de cette société, antérieurement rémunérées par les salaires versés au dirigeant alors qu’il habitait encore en France.
Pour démontrer que la société de consulting étrangère n’est qu’une apparence servant à éluder l’impôt par l’émission d’une facturation qui ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention qui lui soit propre, l’administration fiscale, à laquelle incombe la charge de la preuve, doit apporter en preuve des éléments de faits pertinents établissant que le dirigeant exerce son activité en France et non à l’étranger au bénéficie de la société étrangère. La simple description du montage qui converti la rémunération du dirigeant en facturation d’une société de conseil ne saurait suffire.
C’est ainsi que le Conseil d’État a cassé un arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles qui avait par trop allégé la charge de la preuve incombant à l’administration fiscale. Du même mouvement le Conseil d’État prononçait la décharge des impositions supplémentaires et accessoires mis à la charge du contribuable. (CE, 22 janvier 2018, M. et Mme C…, n° 406888, B).

Si on ne peut recommander à quiconque de tenter d’éluder l’impôt par de simples apparences, la liberté que nous avons de vivre à notre guise dans le respect de la loi ne peut être limitée par une administration qui ne prend pas la peine de remplir la mission qui lui est confiée. Lorsqu’elle à la charge de la preuve, l’administration fiscale ne peut être nonchalante.
Elle doit satisfaire à son obligation avec zèle, c’est au prix de cette contrainte imposée à l’administration que la liberté de chacun est respectée et que l’imposition est acceptable. "Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés." La déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen de 1789 rappelle aussi que "La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. "
Comme par exemple payer l’impôt, quand il n’est pas établi qu’il soit dû.

Photo de une - Illustration Le Conseil d’État DR

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