L’évolution du droit pénal français quant au délit d’association mafieuse
- Par Gianni Chahdi --
- le 2 février 2024
La mafia se définit comme une « bande ou association secrète de malfaiteurs » ou encore un « groupe occulte de personnes qui se soutiennent dans leurs intérêts par toutes sortes de moyens » (1)
La mafia est par essence une organisation « occulte », qui évolue à l’abri des regards, ce qui lui permet de s’immiscer dans l’économie et la politique afin de servir ses intérêts et de se protéger de poursuites judiciaires. Le mafieux se distingue du simple malfaiteur, il veut pérenniser son activité criminelle en la rendant en partie légale. Ce dernier veut arriver à ne plus avoir besoin d’user de violence en ayant une emprise sur la société par la simple intimidation.
Par Gianni Chahdi
Alternant Conseiller Bancaire - Étudiant Master 2 Droit Bancaire et Fintech -
Membre de l’Association de Débat Niçoise et vice-président de l’Association Niçoise des Etudiants en Droit des Affaires ANEDA
Pour comprendre comment lutter contre le phénomène mafieux, il convient d’étudier le système mis en place par le pays où il trouve sa genèse, l’Italie
La reconnaissance partielle par les différents gouvernements du phénomène mafieux en France entraîne sur le plan juridique, une absence terminologique quant à sa définition. En effet, rien ne le définit juridiquement (2)
Dans le Code pénal français, « le crime organisé » est définit par la notion d’association de malfaiteurs (CP, art. 450.1) et l’association de malfaiteurs en bande organisée / Crime en bande organisée (CP, art. 132.71).
L’Italie, dès 1982, s’est dotée de la loi « Rognoni La Torre » (à la suite des assassinats du député Pio la Torre et du général Dalla Chiese) appelée aussi « loi anti mafia ».
Cette loi constitue un véritable élargissement du domaine de l’article 416
Bis du Code pénal Italien ce qui permet de définir juridiquement le caractère mafieux d’une association et d’en délimiter son champ d’application. Cette extension terminologique permet donc de nommer le mal pour mieux le combattre.
En effet, l’association mafieuse n’est pas qu’une simple association de malfaiteurs, mais recouvre un concept qui va bien au-delà.
L’article 416 Bis du Code pénal Italien énonce ainsi que :
« L’association est considérée comme de type mafieux si ceux qui en font partie utilisent la force d’intimidation du lien associatif et de l’assujettissement et de la loi du silence qui en dérivent pour commettre des délits ou crimes ou pour acquérir de manière directe ou indirecte, la gestion ou le contrôle d’activités économiques, [...] ».
Cette codification fut difficile. La position doctrinale a longtemps été celle de la lutte pour l’extension dudit article.
Quel est l’intérêt de la reconnaissance d’un délit d’association mafieuse ?
Certains pourraient arguer qu’en France, le crime en bande organiseée et l’association de malfaiteurs sont suffisants pour lutter contre l’emprise mafieuse : « Constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits(..) » (CP, art. 450 1) ; « constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou tout e entente établie en vue de la préparation caractérisée, par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou plusieurs infractions » (CP, art. 132 71).
Nonobstant ce qui précède, une question demeure : comment et sur quels fondements juridiques poursuivre les associations mafieuses lorsque ces dernières usent de la force d’intimidation de l’association, fruit de son « capital criminel » et poursuivent des buts en apparence licites (comme l’obtention des marchés publics), sans user de la violence et sans recourir à des pressions physiques ?
De plus, la notion de “bande organisée” est une circonstance aggravante, plus difficile à caractériser et donc, de se rendre compte de l’étendue de l’association criminelle, portant atteinte à la société dans son ensemble.
En effet, l’association de malfaiteurs telle que définie dans le Code pénal français magistrats pouvoir d’assujettissement. En l’absence de prise en compte par la loi de la notion d’intimidation sans violence, il est impossible de caractériser l’infraction et donc de prononcer une condamnation.
De plus, comme l’ont démontré certains auteurs (4) la différence entre l’article 416 Bis du Code pénal italien et l’article 450 1 du Code pénal français porte essentiellement sur le fait que la version italienne est apte à condamner des agissements en apparence licites comme le contrôle d’activités économiques permettant aux mafieux de s’implanter sur un territoire donné.
La loi italienne ne réclame pas, au contraire du droit français, d’éléments constitutifs d’une infraction pour condamner une personne appartenant à une association mafieuse. Ces éléments étant alors doublement difficiles à obtenir eu égard à l’omerta ayant cours dans ces milieux, au caractère licite de certains agissements mafieux, pourtant destinés à atteindre des buts illicites comme la pratique du prête nom (5)
Le délit d’association mafieuse revêt, comme démontré, une importance particulière dans la lutte contre la criminalité organisée et la mafia. En effet, cette véritable « arme » juridique permet ainsi de saisir toute la plénitude de ce phénomène qui ronge tous les pans de notre société (économie, politique, etc..) et ne se réduit pas à des activités purement illégales.
L’Italie, en plus du délit d’association mafieuse, s’est dotée d’autres armes juridiques pour endiguer ce phénomène
À côté du délit d’association mafieuse, l’Italie s’est dotée de la confiscation préventive des avoirs criminels sans condamnation pénale. Dans ce cas, l’appartenance à une association mafieuse n’a même pas à être prouvée. Ainsi, il suffit seulement d’obtenir des indices permettant de conclure qu’une telle appartenance est probable en se fondant, par exemple, sur les antécédents judiciaires, le train de vie, les relations avec un groupe criminel, le patrimoine de ?tenu sans rapport avec les revenus déclarés etc.
Cette procédure concerne les personnes suspectées d’appartenir à un système mafieux, ainsi, par une analyse, il est constaté la « dangerosité sociale » (6) L’objectif n’est donc plus la sanction pénale d’une personne mais de la confiscation, en faveur de la société, des biens entrés illicitement en la possession d’une personne.
Il est important à ce stade de rappeler que la confiscation préventive sans condamnation pénale ne porte que sur le délit d’association mafieuse mis en place par l’Italie et ne porte par ailleurs pas atteinte à la Convention européenne des droits de l’Homme. Notamment en ce qui concerne la nature préventive de la confiscation et sa finalité (7) ainsi qu’au respect au droit à un procès équitable ou encore droit à la présomption d’innocence (8).
La commission des questions juridiques et des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe a également voté en faveur de ces dispositions (9)
En France, la loi Warsmann en date du 9 juillet 2010 permet d’opérer des saisies patrimoniales en vue d’assurer la pleine effectivité des peines et des confiscations pouvant, in fine, être prononcées en cas de condamnation pénale, et cela, dès l’enquête et l’instruction.
La confiscation, définie par l’article 131 21 du Code pénal est alors elle aussi une peine connexe.
Nonobstant cette initiative législative, la confiscation n’est pas obligatoire en ce qui concerne les biens meubles ou immeubles en relation avec l’infraction, objet ou instrument de l’infraction et produit direct de l’infraction.
Le champ d’application de la confiscation porte uniquement sur les biens ayant servi à commettre l’infraction ou qui était destinés à la commettre, sont aussi exclus les biens susceptibles d’être restitués à la victime.
De plus, en cas de blanchiment, la confiscation ne porte que sur ces biens à concurrence de la valeur estiméee de ce produit.
Enfin l’article 131 21 du Code pénal, ainsi que les articles 706 141 et 706 158 du me ?me code sont des « saisies spéciales », alors soumises à une procédure que certains considèrent comme complexe et excessive.
Dans un rapport faisant office de bilan publié en 2019, le député Warsmann constate les faiblesses de cette loi en arguant que la peine de confiscation demeure insuffisamment prononcée ce qui la rend alors beaucoup trop aléatoire. Il plaidera en ce sens, dans sa proposition N° 18, en faveur d’un élargissement du champ de la confiscation obligatoire et de la non restitution, « en rendant obligatoire sauf motivation contraire, la confiscation de l’instrument, de l’objet et du produit de l’infraction ».
Dans ce même rapport est demandé “d’instaurer une procédure d’enquête post
sentencielle, permettant d’identifier le patrimoine de la personne condamnée et ainsi de ramener la peine à exécution”. Ce rapport déplorant que « l’enquête patrimoniale est aujourd’hui loin d’être systématique (...) les juridictions ne prononcent pas de peine de confiscation lorsque les saisies n’ont pas été éxécutées préalablement » (N°25).
Cette demande avait déjà été portée par l’AGRASC (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués) dès 2017 (10) réclamant aussi une procédure post sentencielle dans le but d’identifier les avoirs criminels.
Néanmoins, dans le cadre de la loi n°2019 222, l’article 485 1 du Code de procédure pénale vient désormais énoncer que la peine de confiscation du produit ou de l’objet de l’infraction n’a pas à être motivée puisque “cette peine n’est que l’effacement de la conséquence illégale de l’infraction, l’enrichissement de condamné” (11)
Malgré cette avancée, la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation pose de nouvelles conditions à l’application dudit article.
En effet, le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé sauf si le bien concerné constitue en totalité le produit ou l’objet de l’infraction (ce qui est rarement le cas) :
« Il résulte des dispositions des articles premier du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 132 1 et 131 1, alinéa 6, du code pénal, 485 du Code de procédure pénale, que le juge qui prononce une mesure de confiscation de tout ou partie d’un patrimoine doit motiver sa décision au regard de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle et apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé » (12)
Lorsque les fonds saisis ont une origine en partie licite, il faut vérifier que la saisie ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la demanderesse (13).
La Chambre de l’instruction doit s’assurer du « caractère confiscable des biens saisis au regard des seules infractions poursuivies » (14)
« Hormis le cas où la confiscation, qu’elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien, qui dans sa totalité, constitue le produit ou l’objet de l’infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d’office lorsqu’il s’agit d’une confiscation de tout ou partie du patrimoine. Il incombe au juge (...) de préciser la nature et l’origine de ce bien, ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s’expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de cette peine. » (15)
Ainsi, le contrôle de proportionnalité peut être réalisé sur invocation dès lors qu’il n’existe pas de présomptions que la personne ayant fait l’objet de la saisie a bénéficié de la totalité du produit ou de l’objet de l’infraction. Ce contrôle est limité à la partie de cet objet ou de ce produit dont elle n’aurait pas tiré profit (16).
L’arrêt rendu le 19 avril 2023 (17) va bien plus loin quant à cette obligation de contrôler la proportionnalité de la confiscation : « Dès lors que l’illicéité de l’origine du bien confisqué est indifférente à l’éventualité d’une atteinte au droit au respect de la vie prive ?e et familiale du propriétaire du bien confisqué, qui dépend de l’usage qui en est fait, il ne saurait être dérogé à cette obligation lorsque le bien confisqué est le produit, en nature ou en valeur, de l’infraction
poursuivie ». Le contrôle de proportionnalité concerne donc la confiscation (en valeur et en nature) du produit de l’infraction, mais exclusivement en ce qui concerne le droit au respect de la vie privée et familiale.
Le revirement n’est donc pas total. En effet, se prévaloir d’une atteinte au droit au respect des biens n’a toujours aucune chance de prospérer lorsque la confiscation s’exécute en valeur comme en nature sur le produit (ou l’objet) total de l’infraction. Le revirement est opéré à l’aune du seul article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertes
fondamentales car, alors, « l’illicéité de l’origine du bien confisqué est indifférente à l’éventualité d’une atteinte à ce droit ». Sans doute faut-il ici comprendre qu’un droit de propriété n’a pu être valablement constitué en cas d’acquisition illicite, de sorte que revendiquer un tel droit n’aurait aucun sens. (18)
La saisie doit donc être motivée pour chaque mis en cause individuellement, et pour chacun, seulement à hauteur du produit dont il a pu bénéficier. La jurisprudence impose donc une individualisation, une personnalisation de la peine freinant alors la confiscation du produit ou de l’objet de l’infraction.
Il est important de préciser que les 4 et 5 décembre 2023 le Parlement a voté, à l’unanimité et avec l’appui du gouvernement, des amendements dans le cadre d’une proposition de loi visant à renforcer la loi de saisies et de confiscations des avoirs criminels.
Concernant la destination sociale des biens saisis
En France, c’est l’AGRASC qui décide d’accepter ou non de mettre à disposition d’une association ou fondation, un immeuble. Il n’y a donc aucune obligation pour l’Etat, en France, de rendre à la société civile les biens meubles ou immeubles considérés comme volés par le système mafieux. En Italie, pour la seule année 2019, 1 512 biens ont été confisqués et distribués aux associations et 48 % d’entre eux ont été mis à disposition de l’intérêt général.
On remarque dès lors qu’en Italie, l’entrée en vigueur de la loi anti
mafia, et la juridicisation de l’association mafieuse ainsi que la saisie préventive et post sentencielle des biens meubles et immeubles a ? destination de la société, a permis de brider le phénomène mafieux. En effet, peu de temps après, fut instruit le maxi procès de Palerme (10 février 1986) au cours duquel 475 accusés furent mis en examen.
Ces discussions ont également été ramenées par plusieurs associations et collectifs notamment le collectif « Cullitivu anti mafia Massimu Susini », créée à la suite de l’assassinat d’un militant corse alors opposé à ces meéthodes mafieuses ; et par « Crim’HALT », association citoyenne de lutte contre le crime.
D’autres éléments proposés, notamment par ces différentes associations, auraient pu être évoqués ici comme la demande portée auprès du gouvernement de créer une Cour d’Assises spéciale pour les assassinats commis par la mafia (comme pour les procès pour terrorisme et pour trafic de drogue international) ou encore une refonte complète du statut de collaborateur de justice (intégrant les criminels de sang) dans l’objectif de lutter contre l’omerta.
De plus, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, le 18 novembre 2022, lors d’une session extraordinaire, l’Assemblée de Corse a adopté une résolution solennelle de dénonciation des « dérives mafieuses » qui touchent la Corse, à laquelle le Conseil exécutif de Corse est associé, et qui acte notamment la mise en place d’un cycle de travail autour de 5 thêmes prioritaires visant à trouver les moyens pour contrer ces « dérives ». Ces ateliers se sont clôturés en juillet dernier avec un certain nombre de préconisations (dans le champ des compétences et prérogatives de la Collectivité de Corse) qui ont été formulées par les associations et collectifs anti mafia.
C’est au début de l’année 2024 que l’Assemblée de Corse, là aussi lors d’une session extraordinaire aura à se prononcer sur ces préconisations.
Ponu tomba un omu, ma micca e so idee.
SOURCES
1* Mafia, maffia nom féminin (de Mafia, nom propre)
2* Selon Bruno Sturlése, Avocat General, President de la Commission nationale de protection des repentis, « Il ne faut pas avoir peur des mots. Il existe une mafia en France. Cette forme de criminalité se concentre essentiellement sur la région corso-marseillaise. Les autorités politiques françaises, dans leur grande majorité, refusent d’utiliser le terme. C’est un tort, car pour lutter efficacement contre un tel phénomène de violence, il faut
d’abord le nommer correctement. » (Le Monde 28 avril 2021).
Le garde des Sceaux, lui, énonçait le 27 avril 2023 que « le crime organisé est une menace pour tous nos Etats (...) nous ne pouvons plus fermer les yeux (...) l’enjeu de la lutte contre le crime organisé dépasse largement la sphère pénale (...) Ces phénomènes criminels ont la capacité de déstabiliser profondément nos sociétés ».
3* ; 4* Ciro Grandi : « L’apport de la jurisprudence italienne dans l’élaboration du concept d’association de type mafieux » ; Deborah Puccio Den : « Ordres juridiques, ordres « mafieux
».
5* Berangère Denizeau « Intraduisibilité et traduction de la législation italienne antimafia »
6* F Menditto « La confiscation anti mafia et le sort des biens confisque ?s en Italie »
7* Raimondo c Italie 22 fevrier 1994 ; Riela c Italie 4 septembre 2001
8* CEDH Guzzardi / Italie 6 novembre 1980 ; CEDH Raimondo / Italie 22 fevrier 1994.
9* Doc 14516, 26/03/2018.
10* Rapport 2017, p65
11* J H Robert « les confiscations et les mesures de leur proportionnalité ».
12* ; 13* ; 14* ; 15* ; 16* Cass Crim , 8/03/2017, N°15 87.422 ; Cass Crim, 27/06/2018 n°17 84.280 ; Cass Crim 20/11/2019 n° 18 86.781 ; Cass Crim 24/06/2020 n° 19 85.074 ; L’APPLICABILITÉ DU PRINCIPE DE PROPORTIONNALITÉ À LA SAISIE DE L’OBJET DE L’INFRACTION. ET Cass Crim 11/05/2022 n°21 82.280 et n°21 82.281
17* GAZETTE DU PALAIS mardi 26 septembre 2023 NO 30 P54/55 ; Cass Crim 19/04/2023 n°22 82.994 ;
18* GAZETTE DU PALAIS mardi 26 septembre 2023 NO 30 P54/55