La responsabilité pénale

La responsabilité pénale des élus locaux

Stefan Zweig écrivait que "Presque toujours la responsabilité confère à l’Homme de la grandeur". La notion même de responsabilité est fondamentale.

Par Maître Alexandre-Guillaume TOLLINCHI, Avocat à la Cour – Docteur en Droit, Avocat associé de la SELARL TOLLINCHI’S LAW FIRM (Barreau de Nice), Enseignant à la Faculté de Droit de Nice

Du latin respondere (se porter garant), la responsabilité traduit l’obligation de répondre des actes et vient de facto et de jure limiter le pouvoir de leurs auteurs. Être responsable devant le juge, c’est ne pouvoir agir sans considérer les droits et libertés d’autrui, c’est ne pouvoir agir de manière absolue sans considération pour les normes en vigueur. Si la responsabilité confère de la grandeur, la grandeur – autrement dit, l’importance des missions et des responsabilités - génère la responsabilité.

Des responsabilités diverses

Les élus des collectivités territoriales sont politiquement responsables devant leurs électeurs, à chaque échéance. Ils sont également civilement responsables, en cas de faute personnelle si cette dernière n’a pas de lien ou si elle a un lien ténu avec l’exercice du mandat électif si la faute est grave (agression par le maire d’un adjoint durant le conseil municipal) ou trouvant sa source soit dans une volonté de nuire soit dans un objectif distinct de l’intérêt général (emploi fictif d’un militant politique). La collectivité peut également mettre en œuvre la responsabilité administrative de son exécutif devant le juge administratif (demande de remboursement d’un acte accompli dans le seul intérêt du maire, par exemple). De même, la responsabilité
pécuniaire de l’élu local permet, soit en tant qu’ordonnateur soit en tant que comptable public de fait, la mise en œuvre de sanctions administratives mais également pénales. Lorsque la faute est rattachable au service, la responsabilité administrative de la collectivité évitera à l’élu d’engager, a priori, sa responsabilité civile.

En matière pénale, il convient de distinguer deux catégories d’infractions, d’une part les infractions non intentionnelles (fautes d’imprudence, de
négligence, si l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales permises par ses fonctions) et les infractions relatives aux manquements à la probité (concussion, corruption, trafic d’influence, prise illégale d’intérêt, atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité de traitement des candidats dans les contrats publics, détournement ou soustraction de fonds publics, discrimination, faux en écriture publique, abus d’autorité, pantouflage,
escroquerie, recel d’abus de biens sociaux).

C’est la première catégorie qui est la plus pernicieuse. Qu’il s’agisse d’homicides et blessures involontaires, de mises en danger d’autrui, de violation des obligations légales en matière de traitement informatique de données personnelles, ou bien encore de délits environnementaux, la responsabilité pénale des élus locaux est particulièrement large et lourde. Même une maladresse, un simple oubli, ou une erreur inhérente à l’absence de compétences peut engager leur responsabilité, si un dommage est subi et même si le risque d’un dommage grave est caractérisé (en particulier, en matière d’obligations de sécurité et de prudence). La circonstance que l’élu local soit insuffisamment au fait des lois ou qu’il dispose de services administratifs réduits n’évitera pas l’engagement de sa responsabilité pénale.

Quant à la seconde catégorie d’infractions, la plus grave aux yeux du public et de la morale publique, représentant près de la moitié des poursuites, les manquements à la probité sont appréciés au sens large.

De nombreux élus locaux, sans formation juridique, et sans accompagnement juridique suffisant (notamment, dans de petites collectivités) n’appréhendent pas toujours avec la prudence nécessaire l’exercice de leurs fonctions. Qu’il s’agisse de favoriser le recrutement d’administrés (hormis l’hypothèse dans laquelle l’élu est tout à fait conscient de se rendre coupable de favoritisme pour des raisons électoralistes), de participer à une opération, à une association ou à une entreprise alors qu’il existe un conflit d’intérêt privé même très indirect avec les fonctions d’élus (prise illégale d’intérêt), ou de privilégier le recours à des entreprises locales dans le cadre des marchés publics dans l’objectif de faire vivre économiquement le territoire, il n’est pas surprenant de constater l’incompréhension des élus lorsque nous leur expliquons que non seulement ces agissements constituent des infractions pénales mais plus encore que la jurisprudence à leur endroit est particulièrement sévère. La récente condamnation – assez lourde – pour détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêts (suite à des recrutements et promotions controversés) prononcée à l’encontre de Maryse Joissains-Masini, maire d’Aix-en Provence, par le tribunal correctionnel de Montpellier en est un exemple frappant et flagrant, sans préjuger de l’appel interjeté. Certes, toutes proportions gardées, le risque pour un élu de voir engager sa responsabilité pénale – qui augmente en période électorale, du fait de l’instrumentalisation politique regrettable de la justice pénale – est statistiquement marginal (entre 2004 et 2008, seulement 2,2 élus sur 1 000 ont été mis en cause, c’est-à-dire exactement près de 1 200 élus soit une moyenne de 185 élus par an, sachant que, la dernière année de l’étude, 277 élus avaient été poursuivis).

Pour autant, bien que le risque d’une condamnation soit encore plus faible que le risque de poursuites (seules 171 condamnations pour manquements à la probité entre 2008 et 2014 pour 1 200 poursuites, soit 14% de condamnation dans la seconde catégorie, la première catégorie ne faisant pas l’objet de statistiques, nous invitant donc à la prudence en matière d’infractions non intentionnelles), l’évolution du nombre de poursuites pourrait inquiéter les exécutifs locaux. En effet, entre 2008 et 2014, la mise en cause pénale a augmenté de 72%(1). Et depuis vingt ans, l’augmentation est de 95%.

Il y a, par conséquent, lieu d’inviter les élus locaux à la plus grande prudence.

La dépense juridique n’est pas superflue. Mais il ne s’agit pas seulement de passer un marché d’Avocats, encore faut-il bien choisir l’Avocat… et constituer un service juridique compétent et performant tout en imposant une veille générale des services et du territoire permettant de prévenir l’engagement de la responsabilité pénale. Il demeure toujours plus aisé de prévenir, avec tous les moyens possibles, que de se résoudre à mandater un
Avocat in extremis pour panser des plaies déjà purulentes…

Le droit pénal n’est en effet pas une affaire de magie !

1-Rapport annuel du SCPC pour l’année 2015 : focus sur la responsabilité pénale des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux, Jérôme Lasserre
Capdeville, AJCT 2017. 147

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