Le secret des affaires,

Le secret des affaires, un droit fragile en gestation

À l’ère du culte de la transparence, l’appréhension même du secret des affaires est un sujet sensible. Or, la transparence totale n’est pas forcément de nature à servir l’intérêt général et en particulier la prospérité économique… bien au contraire !

Par Maître Alexandre-Guillaume TOLLINCHI, Avocat à la Cour – Docteur en Droit, Avocat associé de la SELARL TOLLINCHI’S LAW FIRM, Enseignant à la Faculté de Droit de Nice

La protection du secret des affaires répond à un besoin économique séculaire et a été accueillie en 2018 par le Parlement à la suite de la directive européenne de 2016.

Aux termes de l’article L. 151-1 du Code de commerce, issu de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, "est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :
1°- Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;
2° - Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
3° - Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret."

Diantre ! L’objectif n’est en aucun cas de porter atteinte à la liberté d’informer, pas plus que de gêner les contentieux salariaux ou commerciaux, encore moins les litiges en droit de la consommation (exemple : les contentieux automobiles).

L’objectif – légitime – est de protéger des savoir-faire ainsi que les données industrielles et commerciales des entreprises qui pourraient être soit utilisés par des concurrents soit détournés de leurs fins, notamment dans le contexte d’une guerre économique sur la scène internationale ou de la cybercriminalité.

A priori, la nouvelle législation permet à une entité économique de saisir la justice lorsqu’elle constate une détention ou une utilisation de ses données par un tiers non autorisé. Elle pourra obtenir une réparation financière – mais la responsabilité civile, uniquement et imparfaitement curative, n’a pas de fonction préventive – ainsi que la mise en œuvre d’un arsenal visant à faire cesser, autant que faire se peut à l’ère du dark web, la violation (destruction des supports et produits, interdiction préventive de révélation, interdiction de commercialisation, etc. cf. article L.152-3-I du Code de commerce), outre la possibilité d’un huis clos judiciaire.

Si la loi nouvelle est manifestement insuffisante, puisqu’elle n’instaure aucune incrimination nouvelle, ce alors même que le droit pénal n’est pas adapté à la notion même du secret des affaires (sa violation pouvant être imparfaitement qualifiée d’abus de confiance, de vol, d’atteinte au secret professionnel, de violation d’un droit de propriété intellectuelle ou industrielle…), la loi de juillet 2018, renforcée par le décret de décembre 2018, a pour principale vertu de susciter, espérons-le, une prise de conscience des entreprises.

Entrepreneurs, la loi ne fait pas tout ! Elle ne vous protège pas autant que la polémique récente l’a laissé naïvement croire.

Vous devez former vos salariés en la matière, mettre en œuvre une véritable stratégie interne et externe d’entreprise, et mettre en place des dispositifs de sécurisation des données informatiques.
En effet, tout comme la liberté de la presse, la protection du secret des affaires n’est pas absolue quoiqu’elle tende à embrasser les traits d’un droit fondamental en gestation.
Ce serait commettre une erreur d’analyse que de penser que ce nouveau droit annihilerait l’exercice de la parole journalistique. Rien n’est plus inexact !
La liberté d’informer, visée à l’article 10§2 de la CESDHLF, demeure largement protégée : lorsque l’atteinte au secret a pour objectif de servir l’intérêt général, de dénoncer une activité illégale, ou de mettre en œuvre le droit d’alerte, il n’est plus opposable à l’auteur de la violation, sous réserve que celui-ci, s’il est poursuivi, démontre relever du cadre juridique de l’inopposabilité (cf. article L. 151-8, 1° du Code de commerce).

Le risque de procédures "bâillons", dont l’objectif est d’intimider le justiciable "faible" plus que d’obtenir gain de cause, existe mais l’instrumentalisation du prétoire fait courir à son auteur le risque d’une sanction au titre de l’abus du droit d’agir en justice. À cet égard, l’entreprise abusant de son droit d’agir en justice encourt, outre une condamnation à des dommages et intérêts, une amende civile de 60 000 euros : ce montant peut effrayer une PME, certainement pas une multinationale, a fortiori considérant que le juge français n’est hélas pas adepte des dommages et intérêts punitifs.
Mais les start-ups peuvent légitimement s’inquiéter du risque d’une telle amende civile alors qu’elles n’ont pas encore la surface financière pour faire respecter leurs secrets commerciaux et industriels, au demeurant souvent mal protégés par amateurisme, négligence, voire incompétence.

Pour conclure, la nouvelle législation relative à la protection du secret des affaires ne constitue certainement pas une révolution juridique ; elle tend, de manière certes imparfaite, à rééquilibrer les intérêts en présence. À condition de prendre conscience des enjeux et de leur gravité.

Au demeurant, l’efficacité de la législation à l’échelle internationale est toute relative sinon inexistante. En effet, les tribunaux américains sont coutumiers de la violation de la Convention de la Haye de 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger. La loi française n’arrêtera donc pas les demandes de e-decovery, d’autant qu’un refus de communiquer les informations sollicitées, en droit américain, constitue une infraction pénale ("contempt of court"), bien que la loi française de 1968 toujours en vigueur interdise – "sous réserve des traités ou accords internationaux" - la communication à des autorités étrangères de documents ou de renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique si cette communication est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l’ordre public.
L’acte I, quoique timide, est entériné. L’actualité judiciaire n’en sera pas bouleversée, au grand dam des entreprises innovantes.
À quand l’acte II, Monsieur le Président ?

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