Renforcement spectaculaire des outils du rebond de l’entreprise en difficultés
- Par Jean-François Tognaccioli, Avocat --
- le 23 juillet 2020
L’ignorance coûte plus cher que l’information. Trop souvent l’entrepreneur croit pouvoir résoudre seul ses difficultés ou s’imagine fautif alors qu’il n’y est souvent pour rien. Et pour cause ! Les défaillances d’entreprises qui s’annoncent seront la conséquence d’une crise économique née de la crise sanitaire. Plus que jamais les professionnels du droit et du chiffre devront coopérer afin d’informer les dirigeants sur l’arsenal du rebond de l’entreprise. Une intervention tardive sera toujours moins efficace et plus risquée.
Avec les prêts garantis par l’État, l’entreprise est sous perfusion. Premier secours utile mais parfois insuffisant. À défaut d’adaptation de l’entreprise à la nouvelle donne, les mesures d’accompagnement, aussi louables soient-elles, pourront être qualifiées rétroactivement de soins palliatifs. Or des aménagements spectaculaires ont été apportés au droit des entreprises en difficultés face à cette situation inédite.
À saisir dès que possible. En voici un aperçu.
Par Me Jean-François TOGNACCIOLI, Avocat, Chargé d’Enseignement - Faculté de Droit - Université Côte d’Azur
La conciliation : la voie royale
Qui n’a jamais rêvé de renégocier les conditions d’un contrat (bail commercial, restructuration des emprunts), obtenir un nouveau financement voire préparer la cession de son entreprise en toute confidentialité ? La procédure de conciliation atteint ces objectifs à 70%.
Elle s’allonge de plein droit de 5 mois. Deux conciliations peuvent désormais se succéder. Un gel ciblé du passif est instauré.
À consommer sans modération.
La cession de l’entreprise au dirigeant !
Jusqu’au 31 décembre 2020, lorsque la cession envisagée assurera le maintien d’emplois, le tribunal autorisera la cession aux dirigeants de droit ou de fait, parents ou alliés des dirigeants, par un jugement spécialement motivé, en sacrifiant certes… les droits des créanciers sur l’autel du retournement de l’entreprise. La fin justifie les moyens !
La cessation des paiements cristallisée
Jusqu’au 23 août 2020, l’état de cessation des paiements est apprécié selon la situation de l’entreprise au 12 mars 2020. En d’autres termes, il est possible d’ouvrir une conciliation ou une sauvegarde si, au 12 mars 2020, l’entreprise n’était pas en état de cessation des paiements et même si depuis… elle s’y trouve ! Solution idéale pour le dirigeant-caution.
En effet à quoi bon sauver une PME en négligeant le sort du chef d’entreprise dont il est, pourtant, le premier capital ?
Les professionnels du chiffre sur le front
La procédure d’alerte a le vent en poupe : le commissaire aux comptes pourra informer le président du tribunal et lui transmettre toutes les informations utiles sur la situation de l’entreprise, dès la première information faite au dirigeant ; à tout moment, s’il estime que l’urgence commande l’adoption de mesures immédiates et en l’absence de réponse adéquate de l’entreprise. Le plan de sauvegarde ou de redressement pourra être adopté sur attestation de l’expert-comptable portant sur un passif prévisible et suffisamment vraisemblable pour permettre au tribunal d’apprécier le caractère sérieux du projet de plan. Ce ne sera plus le passif déclaré qui sera pris en compte mais le passif reconnu.
Offre exceptionnelle valable jusqu’au 31 décembre 2020 !
La sauvegarde accélérée à portée de tous
Jusqu’au 17 juillet 2021, toute entreprise, peut bénéficier d’un traitement express de son passif (en 3 mois) en décidant de geler uniquement le passif bancaire. Autrement dit les fournisseurs seront réglés aux échéances habituelles. Plus de problème d’approvisionnement.
Les plans s’aménagent et se prolongent
Leur durée s’allonge de plein droit de 3 mois puis éventuellement jusqu’à 2 ans pour atteindre au maximum 12 ans et 17 ans en matière agricole. Les créanciers peuvent se voir imposer des délais de règlement différents. Un privilège de sauvegarde ou de redressement est institué, facilitant l’octroi de nouveau financement (new money) dans les procédures collectives. Rappelons que le plan ressemble à un prêt à taux zéro imposé aux créanciers.
Le rebond plus que jamais
Jusqu’à la Révolution, rue Barillerie à Nice, se trouvait la "pierre du failli " : le débiteur y était déculotté et fessé en public. Après le prononcé d’une formule en niçois, il se trouvait blanchi de toutes ses dettes.
Autres temps, autres mœurs !
Mais un même objectif : faire rebondir l’entreprise et le dirigeant malheureux, sans oublier le soutien d’APESA pour l’entrepreneur en souffrance psychologique aiguë. Toutes les mentions au KBIS relatives à la sauvegarde ou au redressement judiciaire disparaissent au bout d’un an. Personne ne saura que l’entreprise a connu des difficultés. La liquidation judiciaire simplifiée s’ouvre par dérogation à toute personne physique employant plus de 5 salariés. Le rétablissement professionnel avec effacement des dettes, s’applique au demandeur dont l’actif maximum est porté à 15 000 € au lieu de 5 000 €. Le rétablissement personnel prévu par le Code de la consommation, purgera désormais le passif… professionnel. Une révolution !
Approprions-nous, sans tarder, ces dispositifs aussi exceptionnels qu’éphémères. Une luciole ne vit qu’un été.
Textes
Ordonnances n°2020-341 du 27 mars 2020 et n°2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises. Loi n°2020-734 du 17 juin 2020.