Tant va la plume à l'eau..

Tant va la plume à l’eau...

Chaque été connaît son lot de faits divers qui font la une des gazettes et des télés. Incendies monstres, sécheresse ou inondations, accidents spectaculaires et autres catastrophes donnent du relief à un moment où l’actualité se met elle aussi en vacances, lorsque le dernier maillot jaune du Tour de France a été endossé sur les Champs-Élysées.
Cette année, la rubrique n’aura pas attendu la trêve des confiseurs avec la disparition du petit Émile dans un hameau perdu des Alpes-de-Haute-Provence. Une bouille d’ange, une fleur jaune à l’oreille sur la photo diffusée : le sort du bambin disparu passionne la France car chacun peut s’identifier à la famille qui eut le seul tort de quitter l’enfant des yeux.
C’est toujours la même histoire : parents, grands-parents, tontons, tatas, cousins... partagent un moment autour d’une bonne table quand le petit dernier tombe dans la piscine sans que personne ne s’en aperçoive, ou dans le cas d’Emile va se promener tout seul dans le village. Le gamin reste malheureusement introuvable : la mobilisation des secours n’est pourtant pas en cause, ni la promptitude de leur réaction, ni le nombre de personnes et de moyens mobilisés.
Les journaux sont comme les tonneaux des Danaïdes, qu’il faut toujours nourrir, sans jamais réussir à les rassasier. D’où les « feuilletons » estivaux, d’autant plus suivis qu’ils concernent des enfants. Il y eut des précédents, le plus célèbre étant l’affaire Grégory, toujours irrésolue.
Les journalistes seraient-ils des vautours qui profitent de l’émotion populaire pour intéresser lecteurs, auditeurs, téléspectateurs ? Il n’y a aucune raison que la question ne soit pas posée. Appartenant à la société, ils en ont les mêmes qualités mais aussi les mêmes travers. Ils peuvent argumenter que le sort du petit Émile arrive en tête - et largement - des articles les plus lus sur les sites d’information. Ainsi va la vie...
Il y a un peu plus d’une trentaine d’années, la disparition de Joris Viville dans un camping du golfe de Saint-Tropez avait provoqué la même curiosité. La direction de l’enquête criminelle fut confiée à la gendarmerie de Fréjus. Journal de proximité, Nice-Matin était le mieux placé pour être le premier à donner les derniers développements de l’affaire. Ses infos étaient ensuite reprises par les agences de presse, puis par les autres journaux. Pour avoir (un peu) suivi professionnellement cette affaire à l’époque pour le grand quotidien du sud-est, je peux dire que chaque jour nous devions apporter « du nouveau » car la demande des lecteurs était pressante. L’affaire a tourné en boucle durant tout l’été. La profession de journaliste n’en est pas forcément ressortie indemne de critiques...
La rentrée de septembre 1989 a mis un terme à ce feuilleton. Le corps de Joris a été retrouvé plus tard dans une bouche d’égout. Cette découverte n’a alors plus fait que quelques titres en pages intérieures de la presse nationale.
Entre-temps, les confiseurs avaient repris leur activité, et l’information avait plus « sexy » à se mettre sous la dent et sous la plume.

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